C’est à la suite d’un pari de 100 000 livres que fit, le 21 septembre 1777, Charles-Philippe de France, comte d’Artois alors âgé de vingt ans à peine (cf. illustration)

avec sa belle-sœur, la jeune reine Marie-Antoinette, de deux ans son aînée et qui venait de monter sur le trône de France trois ans avant (cf. illustration) que fut entreprise la construction ce qui allait devenir le château de Bagatelle.

Le pari consistait pour le jeune prince à faire raser une ancienne construction du maréchal d’Estrées datant du début du XVIIIe et, en lieu et place, rebâtir, achever et meubler un pavillon de fantaisie, que l’on appelait alors une folie, pendant le séjour qu’effectuait alors la Cour au château de Fontainebleau afin d’y donner une fête en l’honneur de la souveraine à son retour à Versailles.

Pour relever cette gageure insensée, Charles-Philippe fit appel à son architecte attitré, François-Joseph Bélanger, qui conçut à la fois l’architecture du pavillon mais aussi sa décoration intérieure avec l’aide de son beau-frère, le dessinateur Jean-Démosthène Dugourc. Le prince ne lésina pas sur les moyens et mobilisa 900 ouvriers qui, pour mener à bien l’entreprise, travaillèrent jour et nuit. Pour pallier la difficulté de trouver rapidement des pierres nécessaires à la construction, il n’hésita pas à donner ordre de réquisitionner tous les convois de matériaux qui arrivaient alors à Paris.

Bélanger, qui fut assisté par l’architecte Jean-François Chalgrin, s’était, en outre, assuré du concours des meilleurs artistes et artisans du temps qu’étaient alors les peintres Hubert Robert et Callet, les ébénistes Riesener, Boulard et Jacob, les bronziers Gouthière et Rémond, le sculpteur-ornemaniste L’Huillier ou encore le marchand-mercier Daguerre.

En dépit de la difficulté de l’entreprise, en 35 jours, le gros œuvre était terminé et le pavillon achevé le 26 novembre, soit 64 jours après le pari du prince. La décoration intérieure et l’ameublement ne furent toutefois achevés que plusieurs mois plus tard.

La construction voulue par Bélanger comportait alors 2 petits pavillons qui précédaient un corps de bâtiment, appelé le « pavillon des pages » abritant les communs et ouvrant en son centre par une porte cochère (cf. illustration).

Au bout d’une terrasse, le château proprement dit se présentait sous la forme d’un logis rectangulaire d’une sobre facture néoclassique dans le goût des constructions de Palladio (cf. illustration).

L’édifice, qui comportait deux étages dont un en attique, ouvrait par une porte flanquée de deux colonnes de marbre qu’encadraient deux niches et que surmontait au niveau de l’entablement une plaque de marbre noir portant l’inscription en lettres d’or qu’avait choisie le comte d’Artois : « Parva sed Apta » (petite mais pratique) en s’inspirant de la maison de l’Arioste à Ferrare. Côté jardins, la façade s’ordonnait autour d’un salon en rotonde coiffé d’un dôme à l’italienne (cf. illustration).

Le rez-de-chaussée comportait un vestibule qui desservait un salon de billard, une salle-à-manger et un grand salon central flanqué de deux boudoirs. Toute la décoration des pièces (cf.illustration), faite de peintures, de boiseries sculptées et d’ornements stuqués figurant rinceaux et médaillons, était dédiée à l’amour et ses plaisirs. Inspirée des dessins de Dugourc, elle était l’œuvre de l’ornemaniste L’Huillier.

Pour chacune des pièces de la demeure, le marbrier Bocciardi avait livré des cheminées faites de marbres précieux et rehaussées de frises de bronze doré par le talent du ciseleur Gouthière. Pièce principale du rez-de-chaussée, le grand salon circulaire ouvrait par trois baies en plein cintre sur le jardin et était coiffé d’une coupole à l’italienne dont le décor (cf. illustration) était fait de génies ailés, sphinges, rosaces, et arabesques évoquant les noces de Psyché.

L’ébéniste Jacob avait livré pour la pièce un ensemble de huit fauteuils et seize chaises en cabriolet à dossier en trapèze. Six d’entre, elles provenant des collections de la comtesse Greffulhe, sont récemment réapparues en vente publique (cf. illustration).

De part et d’autre, deux boudoirs, garnis de sofas confortables, accueillaient pour l’un une série de toiles évoquant les plaisirs champêtres réalisée par le peintre Hubert Robert (aujourd’hui conservées au Metropolitan Museum de New York)(cf. illustration), et pour l’autre, un ensemble évoquant les plaisirs de l’amour qui étaient l’œuvre d’Antoine Callet, portraitiste officiel de Louis XVI.

Mais la pièce la plus spectaculaire du pavillon était sans conteste la chambre du comte d’Artois. Située à l’étage, c’est pour rappeler les fonctions du prince, alors colonel-général du régiment des Suisses et Grisons dont les drapeaux encadraient les grandes armes (cf. illustration), qu’elle avait été conçue à la manière d’une tente militaire.

Les murs étaient tendus d’une soie rayée bleu pâle et blanc retenue dans les angles par des faisceaux de lances de bois doré coiffés de casques et qui se terminait en un velum drapé en guise de plafond et retombant en lambrequins tout autour de la pièce (cf. illustration).

Tout le décor de la chambre évoquait les vertus guerrières du prince : la cheminée était décorée des foudres de Mars et supportée par deux couleuvrines en marbre bleu turquin portant le monogramme du prince tandis que la pendule représentait une allégorie de la guerre ou les bras de lumière figuraient des trophées de boucliers et casques dans le goût de Delafosse. Le mobilier, dessiné par Bélanger, avait été exécuté par l’ébéniste Georges Jacob et reprenait la décoration de faisceaux de lances qui maintenaient les tentures murales. Il comportait un lit, deux fauteuils et deux chaises (cf illustration) récemment passées en vente publique après avoir figuré longtemps dans les collections des princes de Faucigny-Lucinge au château de Chermont en Bourbonnais.

Figurait aussi dans la pièce un important coffre de toilette, à l’origine recouvert de maroquin bleu, sur lequel avait été apposé un médaillon de bronze ciselé et doré portant le chiffre du prince A.T.(pour Artois) (cf. illustration).

Les jardins étaient, quant à eux, l’œuvre du célèbre paysagiste anglais Thomas Blaikie. Inachevés lors de l’inauguration du pavillon, ils consistaient au départ en un parc paysager formé de sous-bois, de pièces d’eau, de pelouses ombragées, de cascades et de grottes dans le goût naturaliste qui prévalait alors outre-manche. Mais ils furent complétés, selon la mode de l’époque, par de nombreuses fabriques et évoluèrent vers ce que l’on appelait alors le style anglo-chinois. Ainsi furent progressivement édifiés le pont de Palladio, le pavillon chinois (cf. illustration), le tombeau de Pharaon, l’obélisque, la grotte des philosophes, ou bien encore les ruines néogothiques dites de l’abbaye de Longchamp

Prévue initialement pour la fin 1777, la fête d’inauguration n’eut finalement lieu que le 23 mai 1778 en raison d’un deuil à la cour d’Autriche. On donna pour l’occasion l’opéra comique du librettiste Sedaine « Rose et Colas » où la reine jouait la soubrette et le comte d’Artois celui d’un laquais.

Charles-Philippe se passionna pour son domaine de Bagatelle qui devint rapidement une de ses villégiatures favorites. Il y était à la fois proche de la plaine des Sablons où couraient les chevaux de ses célèbres écuries situées dans le quartier du Roule à Paris, du bois de Boulogne où il chassait (cf illustration)

Mais aussi de Versailles où ses charges l’appelaient souvent ainsi que de la promenade de Longchamp où défilaient dans des attelages remarqués les élégantes de la capitale. Le prince recevait à Bagatelle une société d’amis choisis au premier rang desquels figurait le comte de Vaudreuil ou le baron de Besenval sans oublier ses nombreuses maîtresses dont la plus fameuse, la célèbre comédienne Rosalie Duthé, que ses multiples aventures aristocratiques avaient fait surnommer le « Passage des Princes », mais aussi la comtesse de Polastron (cf.illustration) qui restera sa grande passion amoureuse.

Au lendemain de la prise de la Bastille, le prince ayant émigré sur le conseil de son frère, le roi Louis XVI, le domaine fut confisqué avant qu’un décret de la Convention, en date du 5 mai 1793, ne décide qu’il serait conservé et servirait alors aux réjouissances du peuple. Bagatelle devint alors un bal musette mais tout son mobilier fut vendu à l’encan. A son tour, le domaine fut aliéné en 1796 et transformé en restaurant.

En 1806, sur ordre de Napoléon, Bagatelle était racheté par Duroc, grand maréchal du palais, et intégrait la liste civile sous le nom de Pavillon de Hollande, l’empereur souhaitant en faire un rendez-vous de chasse. La demeure fit alors l’objet d’une longue campagne complète de remise en état des jardins mais aussi de restauration et de ré-ameublement. Ce n’est qu’en juillet 1811 que sera inauguré le nouveau Pavillon de Hollande, 3 ans à peine avant la chute de l’Empire.

Sous la Restauration, Bagatelle renouera avec une nouvelle période faste. Dès 1814, le comte d’Artois fera don du domaine à son fils cadet, le duc de Berry et ce dernier, comme son père, viendra souvent y séjourner après ses parties de chasse dans les forêts environnantes. A sa mort en 1820, le domaine revint à son fils, Henri-Dieudonné, duc de Bordeaux, qui s’y rendait souvent avec sa sœur, Louise-Marie d’Artois, pour s‘y détendre accompagné par leur gouvernante, la duchesse de Gontaut, après leurs études aux Tuileries comme le montre cette estampe d’après un tableau de Ricois figurant dans les collections de la duchesse de Berry (cf. illustration) .

Ou bien encore ce tableau de Dubois-Drahonet présentant les Enfants de France devant l’entrée du pavillon en 1828 (cf. illustration).

A la chute de la monarchie légitime en 1830, d’abord mis sous séquestre par Louis-Philippe, le domaine passa ensuite dans la liste civile du roi citoyen qui, en 1835, décida d’aliéner le domaine. (Un grand merci à Néoclassique pour cet article, ses recherches ets es images – Copyright photos : DR)