Le château de Bournazel est le plus beau château Renaissance du Rouergue et l’un des plus beaux du Midi de la France. La construction du château de Bournazel débuta par l’aile nord dans les années 1540 sur l’emplacement du logis médiéval. Le commanditaire du château, Jean de Buisson est issu d’une famille de capitouls toulousains souvent en relation avec des banquiers dont beaucoup étaient italiens.

A l’issu de la victorieuse bataille de Cérisoles en Italie, il est nommé, en raison de sa bravoure, capitaine de 50 hommes d’armes et autorisé à porter blason par le roi François Ier. Comme homme de guerre, il connaît Galiot de Genouillac, grand maître de l’artillerie du roi, qui a fait bâtir dans les années 1530 le château d’Assier dans le Quercy tout proche.

Son fils, Antoine de Buisson de Bournazel, né en 1526, fut sénéchal du Rouergue pour le roi. Il assiégea et repris le château de Najac aux calvinistes. Il se maria deux fois, d’abord avec Marie de La Valette dont il n’eut pas d’enfants, ensuite avec Marguerite de Chaumeils, dame héritière de Caillac, fille de François, chevalier cde Saint-Michel, et d’Hélène de Montamat. Il mourut le 5 juillet 1590 à Villefranche-de-Rouergue en laissant trois fils de son second mariage. Son fils aîné, François de Buisson de Bournazel, gouverneur et sénéchal de Rouergue, fut fait marquis de Bournazel.

Pendant que Jean de Buisson participe à la guerre d’Italie menée par François Ier, son épouse Charlotte de Mancip, dame de Bournazel et héritière du domaine, qu’il épousa vers 1530, conduit les travaux. Ceux de l’aile nord seront achevés en 1545. La façade sur cour se caractérise par une composition régulière ordonnée en travées avec superposition des ordres (ordre dorique au 1er niveau, puis ionique et corinthien) en référence à l’architecture antique et au traité de Vitruve, seul traité d’architecture antique qui nous soit parvenu. Le projet comprenait quatre ailes organisées autour d’une vaste cour rectangulaire mais il ne fut jamais achevé. Ainsi, seuls furent réalisés l’aile nord et l’aile orientale, ainsi que l’escalier d’honneur en retour.

L’aile orientale, datée des années 1555, est rattachée à la précédente par un retour d’équerre ouvrant sur la tour nord-est. Elle s’inspire encore davantage de l’antiquité avec pour l’une des 1ère fois en France, l’utilisation de la travée rythmique à la façon de Bramante et de Serlio. Le portique présente donc une alternance de niches et d’immenses arcades.

Caractère profondément romain, les baies sont garnies à l’intrados de caissons comme dans les arcs de triomphe ou les basiliques. Au niveau supérieur, un couloir est aménagé à travers les grandes arcades pour permettre le passage entre l’escalier d’honneur et l’aile nord. C’est la 1ère fois que ce type de dispositif était utilisé en France dans l’architecture civile.

Le voyage en Italie, la fréquentation de la cour et la proximité de Philandrier, l’architecte érudit de Georges d’Armagnac, ne sont pas étrangers à la magnificence du château.

Le décor caractéristique de la renaissance est à l’antique avec pour la frise dorique une succession de métopes (éléments sculptés en bas relief), de rosaces et de triglyphes. La richesse des sculptures y est exceptionnelle. Le décor reprend des motifs antiques comme le bucrane (tête de taureau décharné) présent sur l’Ara Pacis d’Auguste à Rome ou des masques de théâtre. On y découvre aussi un taureau alangui à l’œil séducteur, incarnation de Zeus s’apprêtant à enlever la belle Europe. Sont présents également des objets militaires contemporains, des cuirasses de parade, des piques, des hallebardes en référence à Jean de Buisson, homme de guerre.

L’emblématique, langage symbolique très à la mode dans les milieux intellectuels à l’époque de la Renaissance, se retrouve dans le décor sculpté. Mais paradoxalement, les armes de Jean de Buisson sont absentes de la façade. L’architecte de Bournazel demeure inconnu même si le nom de Guillaume Lyssorgue, architecte du château de Grave, est souvent cité.

L’entrée se situe au niveau de la première enceinte du château médiéval construit par la famille de Mancip, puis entre les deux grosses tours, on découvre le château renaissance contrastant avec la verticalité et la rudesse de l’architecture gothique. Ce sont les seuls vestiges du château seigneurial qui se dressait là au Moyen-Age, avant les gigantesques travaux de Jean de Buisson. Après avoir franchi la 2ème enceinte, le logis renaissance s’offre à la vue avec son architecture régulière en travées et sa galerie sur cour.

En 1790, le château connu un évènement tragique. Lors d’une révolte paysanne contre les taxes redevables au seigneur, le château fut pillé jusqu’aux plombs des fenêtres, puis incendié. Et le 19ème siècle paracheva les destructions de la révolution. L’escalier d’honneur en retour de l’aile orientale fut détruit, la tour adjacente arasée ainsi qu’une partie de l’aile orientale.

Seule rescapée de ce désastre, l’aile nord traverse le XXe siècle avec une tout autre destinée: elle est transformée en maison de repos pendant plus de 60 ans, gérée par la Caisse de secours minier. Le château de Jean de Buisson est donc réaménagée de manière fonctionnelle pour accueillir les équipements liés à cette activité.

Le XXIe siècle annonce une renaissance pour Bournazel: la maison de repos souhaite s’agrandir et quitte les lieux. Madame Martine Harlin découvre le château il y a 8 ans et tombe sous son charme. Avec son époux, elle décide de l’acheter et de redonner à ce joyau, son ancienne splendeur. La tâche est immense, à la mesure de l’énergie de ses nouveaux propriétaires.

Avec l’accord de la Direction des monuments historiques, elle décide de restituer l’aile orientale détruite à la révolution et dont il ne reste plus que la façade à ciel ouvert. Le photo-montage ci-dessus donne une idée des travaux à réaliser pour retrouver la splendeur du château de Jean de Buisson.

La façade orientale est d’ailleurs dans un état préoccupant: elle est en train de s’affaisser et exige une intervention urgente. C’est sur elle que se concentrent les premiers travaux: une campagne de restauration d’environ 5 ans est mise en œuvre. Les observations, recherches et études approfondies ont permis de déterminer le volume de l’aile orientale, ses qualités propres et les structures pouvant lui être restituées.

Les tailleurs de pierre sculptent les éléments de la future façade du château, à la manière de la renaissance française, en restant fidèle aux techniques de leurs lointains prédécesseurs. Les outils électriques sont utilisée pour dégrossir les blocs, mais tous les détails sont sculptés à la main. Une fois les travaux terminés, Martine Harlin et son mari aménageront leurs appartements dans cette partie du bâtiment.

A l’intérieur, de minutieux travaux sont menés dans l’aile Nord, qu’il s’agisse des voûtes de l’escalier ou des cheminées monumentales présentes dans chaque pièce. Les aménagements de la maison de repos ont été effacés: le couloir qui desservait les salles du rez de chaussée a été bouché pour restituer les entrées du XVIe siècle. Quand les cloisons modernes ont été retirées, les cheminées et autres moulures sont apparues intactes. Les plafonds à la françaises ont été restaurés et les poutres endommagées remplacées. Elles ont conservé leurs traces de polychromie.

Au mois de juin 2011, l’escalier d’honneur a retrouvé toute sa superbe: les compagnons tailleurs de pierre lui ont redonné tout l’éclat qu’il avait au XVIe siècle. Ils possèdent un savoir-faire rare et indiscutable en matière de taille et sculpture de pierre et maçonnerie sur les Monuments Historiques.

Ils utilisent les techniques allant des plus traditionnelles aux plus modernes afin de préserver le patrimoine qui leur est confié. Pour le bon remplacement des matériaux anciens, ils choisissent la pierre de substitution la plus appropriée. Les outils utilisés pour la taille sont ceux qui ont servi aux époques de construction.

La clé pendante de l’escalier d’honneur a nécessité 4 mois de travail minutieux avant de trouver sa place au-dessus du palier du 1er étage, fin juin 2011. Martine Harlin, consciente du caractère hors du commun du projet, accorde son attention au moindre détail, et telle Charlotte de Mancip qui veillait en son temps à la construction, la nouvelle Dame de Bournazel coordonne avec beaucoup d’énergie la renaissance de ce joyau.

Si les travaux du château monopolisent toutes les attentions, ils ne sont pas les seuls à Bournazel. Des étudiants de l’université de Montpellier (département architecture et histoire de l’art) se forment aux techniques de la restauration sous la direction de deux professeurs d’université et participent à un chantier-école depuis 5 ans dont l’objectif est de reconstituer le pavillon de jardin. Les techniques de l’époque sont utilisées pour parvenir à son entière reconstitution.

De plus, pour évoquer l’atmosphère humaniste et créative de la renaissance dans laquelle fut élevé le château, un jardin, aux esthétiques du milieu du XVIe siècle méridional sera aménagé sur les 2 hectares qui font face au château. Le projet du jardin, qui s’étendra devant le château, s’appuie sur les fouilles archéologiques réalisées. Il s’agira à la fois d’une restitution et d’un jardin imaginaire. Thierry Verdier, professeur à l’université de Montpellier, en est le concepteur. Il a méticuleusement exploré l’endroit et a trouvé les grandes structures du jardin de Jean de Buisson. Ensuite, son imagination et ses connaissances historiques feront le reste: toutes les plantes qui le composeront sont soit des plantes endémiques, soit des plantes qui étaient connues au XVIe siècle. Le jardin sera donc une création qui aurait pu exister au XVIe siècle, une interprétation d’un jardin renaissance. Il comprendra des pergolas, des gloriettes, des massifs, des vergers, des buis taillés, des plantes médicinales, et des bassins.

C’est donc ce joyau en pleine renaissance que l’on peut découvrir et visiter, tous les après-midis de l’été (sauf le mardi), jusqu’à la fin du mois de septembre. L’œuvre de Jean de Buisson, tel un phœnix, est en train de renaître de ses cendres, sous l’œil attentif et passionné de Martine Harlin, la nouvelle Dame de Bournazel. (Un grand merci à Francky pour ce reportage – Francky dédie cet article à Neoclassique en lui souhaitant que le château de Rosny connaisse un sort aussi heureux)