Voici les vœux du comte de Paris sous la forme de deux histoires vécues par lui-même et par son épouse la princesse Micaela. (merci à Michael – Source : Institut royal de la Maison de France)

Un sourire pour Noël . Voici deux histoires belles, vraies parce-que vécues. L’une concerne la Princesse Micaela, l’autre me concerne. Nous ne nous connaissions pas encore.

En 1956, la Marquise de San Carlos, Grande d’Espagne, a voulu offrir à sa fille, pour ses dix huit ans, un grand bal. Micaela a refusé, car la France venait de s’engager dans un conflit meurtrier en Algérie. Il n’y eut pas de bal, mais un dîner d’anniversaire.

Treize ans plus tard, Micaela accompagne des amis qui se rendent à Alger. Curieuse et aventureuse de nature, elle décide de visiter seule la ville et plus particulièrement la mythique casbah d’Alger. C’était l’époque,en France, des jupes longues, des blouses à manches

bouffantes, des corsages à col en V. Cette mode vestimentaire lui convenait. Elle pénètre ainsi vêtue, seule, dans la casbah. Elle s’enfonce peu à peu dans le dédale des ruelles étroites, aux murs délabrés. Les gens qu’elle croise ne la regardent pas. L’ambiance s’alourdit.

Parvenue presque au sommet de ce labyrinthe la peur la saisit, elle se trouve entourée par une bande d’une trentaine d’enfants et d’adolescents qui lui disent: « viens avec nous, nous allons te montrer la plus belle vu sur Alger la Blanche » , ils la tirent par ses vêtements, ils la poussent… Consciente du danger, du piège dans lequel elle s’est mise, elle se dit: « lorsque tu ne peux reculer, il faut avancer, c’est la meilleure façon de dominer ta peur. » Ils l’amènent vers un « riad », ils la font grimper des échelles (à l’époque elle n’avait pas de vertige). Arrivée sur la terrasse sommitale, en effet la vue sur Alger est à couper le souffle. Cependant, elle voit un des enfants se détacher du groupe et descendre les escaliers intérieurs. Quelques instants après il revient et dit : »nos mères t’attendent pour prendre le thé, elles veulent te parler…si tu le veux bien. »

Rassurée, rassérénée, elle descend entourée de toute la bande. Ce « riad » aux murs lépreux loge une vingtaine de familles. Toutes les femmes se sont regroupées dans la plus grande pièce et l’attendent avec du thé à la menthe et quelques friandises. Elles commencent par l’interroger. « Es tu Française »? Ce n’est pas le moment de leur expliquer les divers ancêtres dont elle descend. Elle a un passeport français, donc elle est Française. Elle habite Paris…

Alors elles ouvrent leur coeur. Toute l’après-midi elles racontent. Toutes se sont battues comme des hommes, elles ont lutté comme eux pour leur indépendance, pour leur liberté, certaines portent même les stigmates des tortures subies. Elles n’ont rien contre les grands propriétaires ou industriels, mais contre les petits blancs qui les méprisent et leur rendent la vie insupportable par mille tracasseries et vexations. La guerre terminée elles pensent avoir enfin retrouvé, récupéré leur dignité de femme. Le pire est alors arrivé. Les hommes, père, oncles, mari, fils âgé les remettent sous le voile, on les force à se marier et certaines ont eu plus de quinze enfants, leur vie redevient un enfer, autre. Elles disent à Micaela, « quand tu retourneras en France dis le, raconte notre humiliation, notre désespoir, nous qui nous sommes battues comme des hommes, nous qui nous sommes battues pour la liberté. » Micaela pense toujours à elles, elle voudrait, qu’en ce Noël nous pensions aussi à elles.

La seconde histoire me concerne, la voici. Jeune sous lieutenant en 1958, j’étais en poste à Oued Seguin dans le Constentinois. Je voulais créer une « harka » (groupement de Harkis) à cheval. Un des « Cadi » du voisinage m’avait offert un cheval. Je devais le débourrer, il me fallait de l’espace. Aussi inconscient et aventureux que Micaela, me voilà parti dans la plaine, seul, fouetté par le vent du galop. Je désirais éprouver le pied du cheval dans la montagne aride qui se dressait à plusieurs kilomètres de mon cantonnement. Passé la crête, je découvre un petit hameau de quelques

maisons blotties dans un creux. Je m’avance au pas et je constate qu’une débandade d’enfants fuient vers ce groupe de maisons en torchis.

Il n’était plus temps de reculer. Je vois venir vers moi au centre du hameau un vieillard qui me salue et me propose de venir boire un café. Offrir un café c’est offrir l’hospitalité et cette offre ne doit pas se refuser. L’hospitalité vous protège, je le pense toujours. Je pénètre à sa suite dans une grande pièce en terre battue où étaient déjà réunis plusieurs hommes. Je me rends compte que cette assemblée ne m’attendait nullement et que je tombais dans une réunion de « fellagas ». Ma présence, seul, les troublait. Peut être s’imaginaient-ils que mon peloton, armé, me protégeait depuis la crête. Tout en sirotant le café, nous avons parlé de la récolte, des troupeaux, du problème de l’eau, bref de la vie dans ce hameau écarté. Après une petite demi heure, je les ai remercié. J’ai salué chacun à la manière musulmane, puis je suis parti tranquillement à cheval, au pas… jusqu’à la crête.

Dans le cours d’une guerre, quelle qu’elle soit, le respect de la parole donnée, le respect de l’adversaire, l’esprit de chevalerie doit pouvoir exister. Il a existé. Et cette main tendue vers l’autre ou vers l’adversaire, doit pouvoir rester tendue. Même dans le débat politique. Bon Noël à tous et je l’espère une bonne nouvelle année 2013.

Henri, Comte de Paris, Duc de France