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Voici un article rédigé par Jul. « Dans un précédent article, j’avais évoqué l’examen de fin d’études primaire de l’Infant François, l’intérêt du Roi d’Espagne Charles IV pour les questions éducatives (créations de collèges, pédagogie de Pestalozzi) mais j’ignorai l’ambition qu’il avait pour l’instruction de ses filles. Trouvant un document relatant l’examen de fin d’études primaires de l’Infante Charlotte, j’ai désiré en transmettre le contenu aux lecteurs de Noblesse & Royautés, en essayant de le rendre attrayant. »

La vie de Charlotte de Bourbon est bien connue, surtout par son mariage et sa descendance. Mariée à l’âge de dix ans ( !) au futur Roi de Portugal Jean VI, ils donnèrent le jour à une fratrie très impliquée dans les confrontations politiques existant dans les royautés européennes à l’époque de la Restauration. Deux de leurs trois fils se disputèrent la couronne du Portugal (Pierre fut Empereur du Brésil) ; trois filles rejoignirent la Cour de Madrid où elles marquèrent les esprits ; une quatrième demeurée célibataire (Isabelle), qui avait l’entière confiance paternelle, fut une Régente du Portugal très capable.

Ces princesses avaient hérité du caractère bien trempé de leur mère, Charlotte de Bourbon qu’on retrouve déjà chez sa mère la Reine  Marie Louise et  sa grand-mère Madame Infante (fille ainée de notre Roi Louis XV). Comme elles, Charlotte était une femme pénétrée de ses devoirs, fille dévouée à ses parents, mère très soucieuse de la santé et de l’avenir de sa progéniture (c’est le moins qu’on puisse dire) ; dotée d’une large culture et professant des principes absolutistes très fermes, ce qui lui permettait de bien entendre les questions de gouvernement, lui donnait le goût de la conduite des affaires de l’Etat et l’assurance nécessaire quand il fallait décider. Des princesses qui ressemblaient à leur aïeul Louis XIV à bien des égards.

Habile politique et diplomate, la Reine Charlotte de Portugal n’hésita pas à intriguer pour conserver les droits de sa famille sur l’Espagne et ses possessions, devenir Régente quand ses parents, ses frères et sœurs étaient captifs de Bonaparte (1808) ; accueillit favorablement et soutint naturellement la proposition des Argentins qui la voulaient pour souveraine du nouveau Royaume qu’ils souhaitaient constituer (Parti carlotiste). Le XIXème siècle n’a pas montré beaucoup d’exemples de princesses dont on présenta la candidature aux trônes d’Etats nouvellement constitués (Grèce, Roumanie, Bulgarie etc…). La réputation de Charlotte de Bourbon, parvenue jusqu’en Argentine, montre que nous avons affaire à une femme d’Etat. Son examen de fin de d’études peut donc être particulièrement intéressant pour éclairer sa formation intellectuelle.

Née en 1775, fille aînée du Prince et de la Princesse des Asturies (depuis Roi Charles IV et Reine Marie Louise d’Espagne), Charlotte était une enfant robuste qui survécut aux maladies infantiles à la différence de plusieurs de ses  frères morts en bas âge (1774, 1783, et les jumeaux qui décédèrent à l’Automne 1784). Elle fut un rayon de soleil pour son grand-père le Roi Charles III et devint un peu sa préférée. Le monarque se soucia très tôt de son bonheur, de lui donner un établissement digne d’elle, un établissement qui devait bien sûr être favorable aux intérêts de l’Etat. Le Comte de Floridablanca lui conseillant de renouveler l’alliance avec le Portugal et très proche de la Reine-mère qui était sa sœur (Marie Anne Victoire de Bourbon), le Roi catholique imagina avec elle des combinaisons avantageuses entre leurs descendants. Les deux complices convinrent que l’Infante Charlotte alors âgée de 8 ans épouserait  Jean de Bragance, Duc de Beja (second petit-fils de la Reine-mère de Portugal).  La sœur de celui-ci, âgée de quinze ans, nommée d’après son aïeule épouserait un des fils cadets de Charles III, l’Infant Gabriel.

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Rien de tel qu’un double mariage pour cimenter la paix ! Qu’il était bon d’être en famille !

En épousant le fils cadet des monarques lusitaniens, Charlotte n’était pas destinée à devenir reine. On pensait alors que le Prince de Beira (Joseph) vivrait et qu’il aurait des enfants avec son épouse-tante. Cependant le roi Bourbon, très soigneux de l’éducation de ses petites-filles, désirait remettre à ses voisins un joyau raffiné.

Un avant le départ programmé de son pays natal et son mariage au Portugal, pour suivre l’avancement des études, vérifier la solidité de ses connaissances et l’habituer à s’exprimer en public, il fut décidé un examen solennel de l’Infante Charlotte, une cérémonie de grand apparat, en présence de la famille royale et de nombreux Grands d’Espagne. Le Roi fixa les dates des quatre jours d’examen aux 8, 9, 11 et 14 Juin 1784, lors du séjour de la Cour au Palais d’Aranjuez.

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Le grand jour arrivé, la petite fille, âgée de neuf ans, s’avança au devant de ses examinateurs, assemblés dans la grande salle du Palais. On imagine son embarras en devant prendre la parole devant toutes ces grandes personnes, on imagine aussi sa nervosité : elle avait bien révisé mais quelles questions lui poseraient son père ? Ses oncles Gabriel et Antoine Pascal allaient-ils la coller en Latin ou en Sciences ? Puissent les questions de sa mère en Français et en Religion n’être pas trop difficiles ! Heureusement la bonne tante Marie Josèphe était aussi là et viendrait peut-être à son secours.

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L’Infante Charlotte

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Le Prince des Asturies

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La Princesse des Asturies

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L’Infante Marie Josèphe

    Quand le Roi fît son entrée et prit place, la famille royale et les grands seigneurs l’imitèrent. On ne sait pas si l’ambitieux monarque l’encouragea à ce moment mais le bienveillant grand-père sourît probablement à sa petite-fille et la regarda tendrement.

Le Roi catholique engagea l’interrogation. Les premières questions portèrent sur le catéchisme, cœur de toute instruction d’une Princesse de la Maison de France. Les réponses manifestèrent l’instruction qu’avait reçue Son Altesse dans les fondements de la religion, rapportèrent les témoins. On demanda ensuite à l’Infante d’expliquer un passage de l’Ancien Testament à sa manière et avec ses mots. Elle dut ainsi présenter et situer dans le temps le prophète dans le livre duquel on avait choisi l’extrait, ainsi que les figures bibliques auxquelles il faisait allusion ; exposer ce qu’elle savait sur l’accomplissement des paroles du prophète de l’Ancien testament dans les vérités du Nouveau. On voulut entendre ensuite ce qu’elle avait à dire sur les Paroles prononcées par le Christ et l’enseignement qu’il voulait donner, grâce à elles, à ses auditeurs. Le Roi jugeant que Charlotte avait bien répondu, décida que c’était assez et fit reprendre à la Cour ses occupations habituelles. Cette première épreuve passée, on imagine le soulagement de Charlotte et sa joie en recevant les compliments de ses parents. Mais elle dut probablement se hâter de regagner sa chambre car le lendemain avait lieu l’épreuve d’Histoire et de Lettres !

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A l’issue de cette première audition, le maître d’études de l’Infante, la famille royale exprima sa gratitude envers le Père Philippe de S.Michel (né Philippe Scio 1738-1796). Ce Religieux entré à quatorze ans dans l’Ordre des clercs réguliers pauvres de la Mère de Dieu et des écoles pieuses, brillant étudiant, avait été remarqué par l’Infant Louis, frère du Roi.  Charles III lui confia la traduction intégrale de la Bible en Castillan en 1780 pour son édification personnelle et l’instruction de ses peuples. S’acquittant de cette éminente tâche, le monarque Bourbon avait jugé bon de lui confier sa précieuse Charlotte.

Le 9 Juin, se répéta la scène de la veille. L’effort fut intense. L’Infante Charlotte fut interrogée tout d’abord sur l’histoire de l’Espagne. Ce fut une suite de questions sur L’Antiquité et le Haut-Moyen Age jusqu’au VIIème siècle auxquelles elle fut soumise. On ne sait pas si la petite fille aurait préféré des questions sur l’histoire médiévale ou moderne. Elle fut ensuite entendue sur les Lettres. On ne lui demanda rien de moins que d’exposer ce qu’elle savait sur l’origine, l’essor, la perfection et la décadence des romances castillanes ( !)  ; puis, dans les livres qu’ils avaient sélectionnés dans leurs bibliothèques respectives, ses parents lui demandèrent d’en lire à haute voix les passages qu’ils lui avaient indiqués au hasard des pages, de présenter ces ouvrages. Au Prince, à la Princesse et aux  Infants qui lui faisaient de scrupuleuses questions de grammaire sur des phrases entières extraites de ces textes, l’Infante Charlotte montra la précision de son analyse grammaticale.

Après avoir bénéficié de deux jours de repos pour se remettre un peu des émotions que lui avaient causées la Religion, l’Histoire et les Lettres, l’Infante d’Espagne dut probablement envisager avec davantage de sérénité l’épreuve de Géographie qui arriva le 11 Juin même si elle savait que son père le Prince des Asturies et son oncle Antoine Pascal ne lui feraient pas de cadeau. Les témoins rapportèrent que l’Infante Charlotte donna les preuves de ses connaissances sur le globe et la géographie, répondit à plusieurs questions, résolut différents problèmes et montra précisément sur les cartes géographiques tout ce qu’on lui demandait dans ces sciences.

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L’Infant Antoine Pascal

     L’après-midi du 14 fut consacré au Latin qui prit un tour de Philosophie. La jeune Infante fut interrogée sur plusieurs ouvrages de Cicéron, Des devoirs, De la vieillesse, Sur l’amitié et les Paradoxes des Stoïciens. Elle dut traduire des passages en Castillan et analyser les discours. Dans le prolongement de cet exercice, on lui fit lire quelques unes de ses expressions écrites libre en Castillan et, choisissant l’une d’elle, on la lui fit traduire du Castillan au Latin. Enfin, pour la plus grande satisfaction des assistants, quelques uns d’entre eux dictèrent une prière ou un propos à Son Altesse, qui leur répéta en Latin.

Pour achever ce marathon restait heureusement l’épreuve de Français, une simple  formalité pour une Bourbon. L’Infante dut lire certains extraits et les traduire immédiatement en Espagnol, répondre en Français aux questions qu’on lui posait sur ce qu’elle venait de lire.

Le document ne rend évidemment pas compte d’éventuelles fautes de l’Infante mais nous éclaire bien sur les matières, les supports et le niveau ambitieux du programme éducatif que Charles III avait souhaité pour sa petite-fille. La suite de la vie de Charlotte et le soin qu’elle accordera aux études de ses filles (Thérèse, Françoise, Isabelle, Marie et Anne de Bragance) ne laissent pas de doute sur la solidité de ses apprentissages.

Les résultats que le Père Philippe de S.Michel avait obtenus avec l’aînée de la fratrie infantale déterminèrent le Roi Bourbon à le faire revenir à la Cour de Madrid après avoir accompagnée sa protégée à celle de Lisbonne. Le Religieux fut nommé maître des études de l’Infant Ferdinand, l’aîné des petits frères (né en 1784). Le Roi Charles IV, dont on connait la générosité, qui désirait le récompenser, lui donna l’évêché de Ségovie (1795).

Comme sa cousine Marie Antoinette, sa mère Marie Louise ou encore la Reine Louise de Prusse, la Reine Charlotte de Portugal fut diffamée par les bourgeois libéraux et Napoléon Bonaparte qui projetèrent leurs préjugés sexistes sur ces femmes décidées (accusations d’adultère et même de nymphomanie !) pour les faire haïr et satisfaire leurs intérêts matériels et symboliques particuliers. Peut-être ces hommes ne supportaient-ils pas l’idée que des femmes puissent leur résister.

Ne leur en déplaise, plusieurs des filles, petites-filles et arrière-petites-filles de Charlotte, établies en Espagne, en Autriche ou au Luxembourg illustrèrent encore aux XIXème et XXème siècles, par leur grand sens de l’Etat, les noms de Bragance, de Bourbon et de Nassau.

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La Grande Duchesse Charlotte de Luxembourg, arrière petite-fille de Charlotte de Bourbon. (Un grand merci à Jul pour cet article)