En cette année 2018, on commémore les 100 ans de l’extermination du tsar Nicolas II et de la tsarine Alexandra avec leurs cinq enfants ainsi que de plusieurs membres de la famille impériale. L’occasion pour l’auteur Bertrand Meyer-Stabley, fin connaisseur des monarchies européennes et biographe confirmé, de revenir sur la destinée de la dernière tsarine de Russie, Alexandra.

Une femme souvent cataloguée comme une mère très protectrice à l’égard de son fils Alexei, le tsarévitch, mystique à l’excès, se raccrochant à tout vain espoir de le voir un jour guérir de l’hémophilie qu’elle lui avait transmise. Un drame familial pour le tsar et la tsarine qui formèrent d’autant plus un cocon feutré autour de leurs enfants.

Un terrible handicap longtemps vécu dans le plus absolu des secrets, qui conduisit la tsarine à faire confiance aveuglément au moine Raspoutine qui parvenait « miraculeusement » à stopper les hémorragies du jeune prince.

La biographie de Bertrand Meyer-Stabley sort de ce cliché habituel. Elle retrace la ligne du temps de la vie de celle qui naquit princesse Alix de Hesse, petite-fille de la reine Victoria. Une enfance marquée par la tragédie avec le décès de son jeune frère, puis de sa mère et sa sœur Marie, les mariages de ses sœurs aînées et un isolement au château de Darmstadt  auprès de son père.

Sa mère la princesse Alice de Grande-Bretagne succomba en 1878 de la diphtérie en soignant sa fille la princesse Marie qui en mourut aussi. cinq ans plus tôt, son frère Frederic était mort des suites d’une hémorragie dûe à l’hémophilie.

Seules les escapades avec sa grand-mère la reine Victoria lui redonnaient un peu de joie de vivre et lui faisaient oublier l’austérité de sa vie quotidienne.

Et puis, le coup de foudre pour Nicky, un jour appelé à devenir tsar de Russie. Des années d’attente avant de pouvoir convoler car la mère du tsarévitch avait d’autres prétendantes en tête dont la princesse Hélène de France. Alix semblait déjà une personne trop fragile, aux épaules peu résistantes que pour un destin impérial. Lorsque le tsar Alexandre III donna finalement son consentement, il fallut alors convaincre Alix de se convertir à la religion orthodoxe, ce qui fut pour elle un énorme sacrifice au terme de jours d’imploration de son fiancé.

Pour ses fiançailles, la princesse Alix de Hesse reçoit une bague ornée d’une perle rose, un collier de grosses perles roses, une broche de saphir et diamants, une chaîne en or avec une énorme émeraude. Son futur beau-père le tsar Alexandre III lui remet un lourd sautoir de perles de Fabergé;

Les fiancés débutèrent toutefois sous les plus sombres auspices : la mort du tsar Alexandre III le 20 octobre 1884 avant leur mariage. Pour les Russes, Alix amenait avec elle le malheur. L’incompréhension ne fut que grandissante. Le jour de leur mariage le 14 novembre, une bousculade causa la mort de milliers 4000 personnes. Le couple ne fut pas informé de l’ampleur du drame et continua les réjouissances…

Sa timidité et son manque de confiance furent pris pour de la froideur. elle eut bien du mal à conserver les mêmes dames d’honneur, ce qui donna à chaque fois lieu à des commérages sur son mauvais caractère.

Alexandra eut aussi du mal à s’imposer par rapport à sa belle-mère la très populaire impératrice douairière Maria, née princesse de Danemark avec qui le couple vécut au début de son union avant d’avoir son propre « home ». Une impératrice qui se sentait entièrement russe, qui avait un sens évident du contact, du geste et une vision politique, l’opposé d’Alexandra.

Heureusement, le couple était très uni, une vraie vie de famille épanouie autour de leurs ravissantes grandes-duchesses Olga, Tatiana, Maria et Anastasia  et du fils tant espéré Alexei.

Bertrand Meyer-Stabley revient sur la fascination de la tsarine pour Raspoutine malgré les mises en garde de sa belle-mère et de sa soeur la princesse Elisabeth, devenue par mariage grande-duchesse Serge de Russie. Alexandra n’entendit personne. pour elle, Raspoutine était un ami. Son assassinat fut un terrible drame pour elle. Elle réclama la mort de de ceux qui assassinèrent le moine dont le prince Félix Youssoupov et le grand-duc Dimitri mais au vu de leur rang, ils ne furent que bannis de la Cour. il fut inhumé dans le parc du palais de Tsarskoïe Selo. Lors de la révolution, son corps fut exhumé et brûlé.

La très agréable plume narrative de l’auteur vous emmène du grand-duché de Hesse aux lambris dorés des palais de Saint Pétersbourg, où les derniers feux des Romanov brillent encore le temps de quelques valses avant l’effondrement de l’empire, la réclusion, la déportation et enfin l’extermination dans la villa Ipatiev. Vous découvrirez la vie relativement simple de la famille dans ses différents palais.

Leur réclusion à Tsarskoïe Selo n’est pas sans rappeler celle du roi Louis XVI et des siens à la Conciergerie. la population était invitée à venir les observer derrière les grilles du palais comme des animaux au zoo. Les soldats parlaient grivoisement aux grandes-duchesses, tutoyaient et insultaient le tsar à longueur de journée, le marin qui s’était toujours occupé du tsarévitch le rudoyait à présent,…

Une famille unie jusqu’au bout avec quelques fidèles serviteurs. On y lit le refus du gouvernement britannique de les recevoir car trop proches de l’Allemagne, pareil pour la France où l’on estime que la tsarine est une pure « boche ».

Le livre revient aussi sur la missive codée adressée au roi George V et à la reine Mary. En vain, l’aide tant attendue ne vint jamais. En revanche, l’impératrice douairière et deux de ses filles purent quitter la Crimée par bateau.

Il fallut 10 longues minutes pour exterminer le tsar, la tsarine, leurs enfants, leur médecin personnel et leurs fidèles domestiques. Une scène atroce selon les soldats présents dont deux se désistèrent, n’ayant pas le courage de tuer les grandes-duchesses.

Alexandra pourrait être comparée à Marie-Antoinette : deux femmes quittant un pays pour une nouvelle patrie où elles s’intégrèrent difficilement surtout au niveau de la Cour, puisant courage et force dans la religion au moment de leur incarcération et sacrifiées sur l’autel de la révolution avec les leurs. Comme quoi le hasard n’existe pas : lorsque la tsarine Alexandra apprit l’abdication de son époux en mars 1917 de la bouche du commandant en chef de Petrograd, elle est dans un salon du palais où se trouvait accrochée une tapisserie représentant…Marie- Antoinette.

Autre ironie de l’Histoire, la maison Ipatiev  fut rayée de la carte par Boris Eltsine alors premier secrétaire du parti communiste à Sverdlovsk sur ordre de Moscou. En 1991 au lendemain de son entrée en fonction au Kremlin, un convoi de militaires et inspecteurs prit la route de la forêt où avaient été jetés les corps de la famille impériale et de ses serviteurs. c’est ainsi que l’on put grâce à l’ADN les identifier à l’exception du tsarévitch et de la grande-duchesse Marie retrouvés en 2007.

Le 17 juillet 1998, 80 ans après leur assassinat, ils furent inhumés en la cathédrale Saint-Pierre et Paul à Saint Petersbourg en présence du président Eltsine et de 52 Romanov.

« Alexandra. La dernière des tsarines », Bertrand Meyer-Stabley, Editions Sutton, 2018, 467 p.