9782343035567r

Noblesse et Royautés a interrogé Luciana Clevering suite à la parution de son livre « L’affaire Praslin. Un crime conjugal sous la monarchie de Juillet« .

Noblesse et Royautés : Comment avez-vous connu le récit du meurtre de la duchesse de Praslin ?

Luciana Clevering : Lorsque, comme moi, on est passionné par l’histoire, on tombe un jour ou l’autre sur ce fait divers qui fit beaucoup de bruit à l’époque. Cosmo dit très justement que l’affaire Praslin appartient à la mémoire collective. Les gens qui s’intéressent à l’histoire savent qu’à la fin du règne de Louis-Philippe ce crime eut lieu, mais peu de gens en connaissent les vrais mobiles.

Noblesse et Royautés : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’ « enquêter » de votre côté  ?

Luciana Clevering : Connaissant ce fait divers depuis longtemps, je voulais en savoir plus. Aucun livre documenté, avec de la bibliographie, n’est paru depuis 1968. Il y a eu des romans, mais cela ne m’intéresse pas, j’aime avoir des références historiques.

J’étudie toujours à fond un sujet qui m’intéresse et je voulais mieux connaître les détails du crime.   Internet m’a ouvert de nombreuses pistes que je n’aurais pu explorer il y a encore dix ans.

En lisant pour mon plaisir, je me suis aperçue que des documents avaient été délibérément cachés au public. Les lettres du duc à la gouvernante des enfants. Les lettres des filles de la victime à cette gouvernante très aimée, mais qui avait été renvoyée un mois avant le crime.   Les lettres du duc existent encore aux Archives mais elles n’ont jamais été publiées parce qu’elles réfutent la thèse accréditée par le pouvoir : le crime passionnel, dans un moment de folie, d’un homme qui voulait refaire sa vie avec l’ancienne gouvernante des enfants. Or ces lettres ne montrent aucun sentiment amoureux, donc aucune liaison. Les publier ou les rendre à sa destinataire aurait démoli la thèse officielle.

Enfin, la lecture du Journal de la duchesse, sorti de l’Armoire de Fer après 100 ans, m’a fait voir les passages censurés. Car le Pouvoir de l’époque, pour verrouiller l’Affaire, a tout de suite publié des extraits expurgés du journal et des nombreuses lettres écrites par la duchesse. Des lettres enflammées qu’elle écrivait à son mari pour qu’il revienne vers elle.   On a tout fait pour cacher que la mésentente du couple était antérieure à l’arrivée de la gouvernante. Je sors les extraits censurés du Journal et on voit alors l’Affaire sous un autre jour.

Je l’avoue, c’est l’indignation qui m’a poussée à écrire, pour réfuter une thèse qui continue à circuler.   Il y eu un crime froidement prémédité, dont le moteur était la haine, pas l’amour.   On a voulu faire porter le chapeau à une jeune femme sans argent et sans appuis. Elle n’avait rien à voir dans ce crime.   Le Pouvoir a tout fait pour protéger une famille puissante. Je donne ma version des vrais mobiles, qu’on a voulu cacher parce qu’ils ternissaient l’image de la victime et aussi celle de l’assassin. Je raconte toute l’affaire par le début, mariage, problèmes de couple, problèmes avec l’éducation des enfants (une terrible pomme de discorde) assassinat, enquête, mort du duc, incarcération et libération de la gouvernante.

Noblesse et Royautés :  A quels documents avez-vous eu accès pour étayer votre thèse du crime ?

Luciana Clevering : Cette question s’imbrique avec la précédente. J’ai fait comme tous les chercheurs dans ces cas-là, ai consulté des correspondances, des procès-verbaux, des mémoires, des journaux. Internet m’a beaucoup apporté.   J’ai aussi consulté des livres. Je reproduis toujours des extraits de correspondances ou de journaux pour étayer mes dires. Je parle aussi des opinions d’auteurs qui ont bien étudié le sujet, comme Albert Savine et Stanley Loomis (« a crime of passion »). Je commente l’émission « La Caméra explore le temps » qui en 1962 aborda le problème, mais en cachant le nom de la famille Praslin. Dans la discussion qui suit le téléfilm, André Castelot et Alain Decaux ont des opinions opposées. Mais à mon avis, ils n’ont pas eu le temps d’examiner toutes les pièces de l’affaire, surtout Alain Decaux. Une émission de télévision, ce n’est pas la préparation d’un livre. Mais c’est tout de même un bon téléfilm, parce que les deux historiens sont confrontés à un mystère que personne n’a pu résoudre. Pourquoi le duc accusait-il sa femme d’immoralité ?   Ils donnent leur explication, schématisée dans une réplique du mari à sa femme.

Noblesse et Royautés : Quel retentissement eut ce crime dans l’opinion publique et la presse ? 

Luciana Clevering : Il fut énorme et tous les journaux européens en parlèrent. La Cour des pairs voulut publier les lettres de la duchesse, expurgées, et des passages de son journal, également censurés. Ces écrits circulèrent dans toute l’Europe et indignèrent ou émurent les lecteurs de 1847. Un journal de Londres publia en septembre 1847 un très bon plan de la chambre du crime et du rez-de-chaussée de l’hôtel Sébastian, que je reproduis à la fin de mon ouvrage.   Un écrivain, Maxime du Camp, se moqua de la victime, à cause de la teneur de ses lettres enflammées, qui montrent une frustration sexuelle, et il n’avait pas même pas vu les passages censurés. Mais la compassion prévalut. Le Pouvoir était arrivé à ses fins, la victime apparaissait comme un ange de vertu et de bonté. Le mari était devenu fou, à cause d’une intrigante.   Cette légende fut tellement bien « installée » que tout le monde y croit encore. Moi-même, en abordant cette recherche, je considérais la gouvernante comme la complice de l’assassin. Comme on ne trouva aucune preuve de la culpabilité d’Henriette Deluzy -Desportes, on dut la relâcher, mais sans lui rendre les lettres du duc, qu’elle aurait pu produire pour prouver son innocence. C’était très habile.

Noblesse et Royautés : Pensez-vous que si les protagonistes n’avaient pas été le duc et la duchesse de Praslin, le déroulement de l’enquête aurait été différent ?

Luciana Clevering : Bien sûr. Il y eut un vrai déni de justice. On incarcéra sans preuves, sans avocat, une jeune femme sur seule base des racontars des domestiques. On ne voulut pas interroger les filles aînées de la victime, qui avaient vu leurs parents se déchirer pendant le dernier mois de leur vie. Leurs lettres à leur ancienne gouvernantes furent rendues à la famille et jamais évoquées dans les procès-verbaux des interrogatoires. Ceux-ci sont d’ailleurs tronqués quand on se rapproche d’une vérité gênante.

Je raconte le déroulement de l’enquête qui montre une justice de classe.   Quand faute de preuves, la gouvernante fut remise en liberté au bout de trois mois, deux journaux s’émurent tout de même de cette situation inique et du tort irréparable porté à sa réputation. Dans les lettres des jeunes filles à leur ancienne gouvernante, remises à la famille parce que « extérieures à l’affaire », on pouvait deviner les mobiles du crime.   Un mystère de cette affaire (il y en a d’autres) c’est qu’une copie d’une seule lettre de cette correspondance a été faite, par qui ? et elle a échappé à la vigilance des censeurs. C’est de la dynamite.

Noblesse et Royautés : Le lecteur pourra découvrir aussi le destin d’Henriette Deluzy, gouvernante des enfants du duc et de la duchesse de Praslin. Aviez-vous une autre perception de cette femme avant d’écrire votre livre ?

Luciana Clevering : Avant de commencer cette recherche, j’étais convaincue que la gouvernante, adorée de ses élèves (là tout le monde est d’accord), était une intrigante et la maîtresse du duc. C’est dire comme le Pouvoir a réussi son verrouillage de preuves.   Dans la famille Choiseul-Praslin, on voulut faire de l’institutrice le bouc émissaire.   Quand on lit ses lettres occultées, une personnalité attachante apparaît. Des sources américaines confirment cette impression favorable.   Grâce à des documents américains, j’ai pu raconter la seconde vie en Amérique d’Henriette Desportes- Deluzy. Elle est étonnante. C’est la troisième partie de mon ouvrage.

Noblesse et Royautés :  Le duc et la duchesse possédaient plusieurs biens. Certains sont-ils encore de ce monde ?

Luciana Clevering : Le duc de Praslin était le propriétaire du beau château de Vaux, bâti par le surintendant Fouquet.   Gaston, le fils ainé en hérita mais des revers de fortune l’obligèrent à le vendre en 1875. Son entretien était trop coûteux. L’hôtel Sebastiani, lieu du crime, fut rasé vers 1860 et la rue de l’Elysée passe dans ce qui était son jardin.   Les enfants héritèrent de leur père, de leur grand-père et de leur grand-oncle, mais ils étaient neuf… Et il semble que Gaston, le fils aîné dilapida sa part d’héritage.   Sinon, aurait-il fait, en 1874, d’une richissime Américaine la 6e duchesse de Praslin ?

Noblesse et Royautés : Qu’en est-il de leur descendance en 2014 ?

Luciana Clevering : Le couple Praslin eut six filles et trois fils.  Cinq filles sur six eurent une descendance, qu’on retrouve dans des familles nobles françaises et étrangères. Deux filles se marièrent en Italie.   Louise, la fille préférée de son père et de sa gouvernante est l’ancêtre de Diane de Cadaval. Deux des trois fils (Horace et Raynald)  n’eurent aucune descendance.   Gaston, qui hérita du titre et du château de Vaux, eut sept enfants dont cinq fils.   L’un d’eux, Gabriel, est l’ancêtre du duc de Praslin actuel, prénommé Raynald.

« L’affaire Praslin. Un crime conjugal sous la monarchie de Juillet », Luciana Clevering, L’Harmattan, 2014, 241 p.