« Dès le dernier service, la dauphine, prétextant une grande fatigue, demanda au roi la permission de se retirer et de monter à ses appartements. Là elle congédia aussitôt les femmes de chambre, s’empara du sac de voyage vert dont elle ne se séparait jamais, en sortit une boite en carton bouilli recouvert d’un papier aux motifs très défraîchis qu’elle posa sur le marbre d’une table, alla tirer les rideaux, puis revint sur ses pas pour l’ouvrir.

Avec d’infinies précuations, Marie-Thérèse en sortit de menus objets qu’elle disposa soigneusement devant elle selon un cérémonial qui paraissait immuable. Il y avait là de petits étuis dont le ventis Martin montrait des traces d’usure, une vieille chaussure, des épingles à cheveux, un mouchoir de col à l’ancienne mode, une montre de femme, un écrin contenant plusieurs portraits miniatures, un portefeuille de dame en broderie de perles effilochées, une aumônière marquée aux armes de France, des lettres liées entre elles par un ruban, quelques jouets d’enfant grossièrement sculptés dans du frêne à la peinture écaillée par endroits, un livre de messe auquel les pages trop souvent tournées donnaient l’air d’un vieux soufflet, plusieurs médaillons contenant des compositions en cheveux portant des inscriptions minuscules, et enfin, posé au milieu de ce capharnaüm de poche, un simple crucifix d’ébène. C’était celui de l’abbé Henry Essex Edgeworth, son dernier confesseur, avait présenté au roi Louis XVI avant qu’il ne pose la tête sur le billot.

La dauphine, maintenant agenouillée à même le sol, priait devant les reliques de sa famille massacre alors que, à l’extérieur, un rassemblement hostiletenu par la garde lui criait des insultes. »

Marie Thérèse, fille du roi Louis XVI et de la reine Marie Antoinette, a survécu à la Révolution et à sa longue et tragique détention. Elle a épousé son cousin le duc d’Angoulême, neveu du roi Louis XVIII et fils du roi Charles X qui régnèrent sous la restauration. Elle aurait dû devenir reine de France mais « ironie » de l’histoire, elle dut à nouveau en 1830 prendre à jamais le chemin de l’exil. Cet épisode est narré lors de la halte de la famille royale (roi Charles X, dauphin et dauphine, la duchesse de Berry et ses enfants) à Saint-Lô avant de prendre le bateau à Cherbourg. (Source : « L’été des quatre rois », Camille Pascal, Plon, 2018, pp 594-595)