François et Marie Sophie

La Rome pontificale, capitale de ce qui restait des Etats du Pape, serait désormais la résidence de François et de Marie Sophie, tant que dureraient ces Etats. Mais ils étaient considérés comme potentiellement dangereux car leurs sujets n’étaient pas tous résignés à accepter la défaite et l’occupation. Pour eux ils restaient leurs souverains légitimes.

Elle ne s’était pas résignée à la défaite et « l’héroïne de Gaète » se préparait à la reconquête de son trône, alors que François semblait résigné à son sort, trouvant dans la religion le réconfort qu’il y avait toujours cherché.

Ils s’étaient tout d’abord installés au palais du Quirinal où habitait également Marie-Thérèse avec ses enfants et sa suite. Cette dernière supportait difficilement la gloire de Marie Sophie.  Elle se permettait de s’attribuer à table la place d’honneur, ce que Marie Sophie refusait d’accepter. Il fallait donc dresser deux tables, dans deux salles différentes.

Marie Sophie avait repris des habitudes napolitaines de monter à cheval dans la campagne, seule ou accompagnée d’une escorte de beaux officiers, au grand scandale de la société romaine. Les souverains subirent alors une attaque violente, destinée à les discréditer aux yeux de l’opinion publique et à ternir l’auréole de gloire de la souveraine.

Une des photos montage du scandale

Et c’est en s’appuyant sur cette odeur de scandale pour la bonne société romaine, que furent diffusés des photos de Marie Sophie nue, dans des positions érotiques. Tout ceci n’était bien entendu qu’un montage photographique destiné à ruiner la réputation de la reine. Le scandale en Europe fut énorme. Les auteurs de ce montage furent attrapés, jugés puis plus tard libérés. Mais ils n’étaient que les acteurs d’un plan qui les dépassait. On ne sut pas qui avait ordonné ce plan mais le parti piémontais de Rome fut soupçonné. En effet, le roi de Piémont ne se résignait pas à avoir Florence comme capitale. Il voulait Rome.

François II à droite agenouillé devant Pie IX

Le pape représentait le dernier symbole de l’ancienne Italie et Marie Sophie, avec sa gloire, soutenait cette représentation. Elle était dangereuse pour les partisans d’une Italie totalement unie. Tant que Napoléon III fut sur le trône de France en position dominante, il ne permit pas à Victor-Emmanuel de se saisir de la Ville Eternelle. La défaite de Sedan et la chute de l’empire, le 4 septembre 1870, lui ouvrirent ses portes. Le pape, Pie IX, était désormais prisonnier dans sa ville, à la suite d’une rapide campagne militaire et d’un referendum, aussi sujet à caution que celui qui avait permis d’annexer les états de Naples et de Sicile.

Attaquer Marie Sophie par de fausses photos, comme par de fausses rumeurs, faisait partie de ce plan qui constituait à ruiner sa réputation afin de l’empêcher de prendre la tête d’un mouvement de révolte dans ses anciens états, pour y installer la monarchie constitutionnelle et faire revivre ainsi un état indépendant de l’Italie du Sud.

Palais Farnèse

François et Marie s’étaient installés au Palais Farnese, propriété de leur famille depuis 1731 La dernière des Farnèse, Élisabeth, épouse en 1714 le roi Philippe V d’Espagne, le petit-fils de Louis XIV, et c’est leur fils, Charles III, qui recueille alors l’héritage de sa mère, le duché de Parme, dans lequel se trouve le palais et ses collections

Devenu roi de Naples en 1734 puis de Sicile en 1735, il abandonne le duché à son frère cadet, l’infant Philippe, mais conserve les trésors du palais Farnèse qui resteront dans la descendance des rois de Naples jusqu’au roi François II. Ce dernier y fit faire des travaux importants de décoration.

Plafond peint du temps de François II

Enfilade du temps de François II

Ils y restèrent jusqu’à ce que la prise de Rome les chasse à nouveau. Des complots matrimoniaux y furent fomentés. La soeur cadette de Marie Sophie, Mathilde, fut marié à Louis, comte de Trani, le 5 juin 1861.

Mathilde, comtesse de Trani

Une soeur de François, Marie Immaculée, fut mariée à l’archiduc Charles Salvator de Habsbourg-Toscane, le 19 septembre 1861.

Marie Immaculée princesse de Bourbon des Deux-Siciles

Charles Salvador, archiduc d’Autriche-Toscane

Une autre soeur Marie Annonciade fut mariée à l’archiduc François-Charles, frère de François-Joseph le 16 octobre 1862. Ces derniers furent les parents de l’archiduc François-Ferdinand, assassiné à Sarajevo en 1914. Ils sont les ancêtres des Habsbourg actuels.

Marie Annonciade princesse de Bourbon des Deux-Siciles

Charles-Louis, archiduc d’Autriche

Le mariage de Mathilde fut encore plus catastrophique que celui de Marie Sophie. Louis la trompa immédiatement. Débauché, ivrogne et peu intelligent il se suicida en 1886.

Mathilde de son côté prit un amant, le grand ami de sa soeur Marie Sophie, l’ancien ambassadeur d’Espagne à Naples, Bermudez de Castro. Elle vivait à Rome, près de sa soeur.

 

Salvador Bermudez de Castro, marquis de Lema

Toutes les deux, se ressemblant beaucoup, parcouraient la campagne à cheval ou les rues de Rome à pied, se faisant souvent passer l’une pour l’autre. Mais « l’héroïne de Gaète »  ne pouvait se contenter d’une vie aussi simple.

Dès 1861, Marie Sophie fut en contact avec tous ceux qui considéraient les Savoie comme des ennemis. Parmi eux, il y avait des brigands célèbres qu’elle rencontra à Rome, sous les yeux tolérants de la police pontificale. Mais il y eut aussi des jeunes gens, venus de toute l’Europe, séduits par une croisade de la légitimité à la tête de laquelle se trouverait l’ex-reine. On peut citer les noms d’Emile de Christen, Alfred de Trazégnies, Henri de Cathelineau, Karl de Kalckreuth.

Général-comte de Cathelineau 1813-1891

Il y eut aussi Bermudez de Castro, qui se rendant rapidement compte que si la troupe comportait quelques héros de bonne famille, elle était essentiellement composée de bandits, sans honneur, avertit François qu’il ne s’agissait que de « misérables scélérats, pas plus catholiques que légitimistes attachés à sa cause ».

Cette troupe finit par être composée de trente mille hommes s’opposant aux cent vingt mille de l’armée piémontaise. Mais plus qu’une croisade pour la défense des droits des souverains napolitains, il s’agissait d’une sorte de jacquerie sur fonds de rapine et de violence.

Dès le début de 1862, Marie Sophie réalisa avec qui elle s’alliait et prit ses distances. L’affaire des photos truquées contribua à une certaine mélancolie que sa vie au contact de la population romaine, jugée comme fantasque par l’aristocratie et la cour pontificale, ne soigna pas. A peine 20 ans, mariée sans amour, ayant perdu son trône, elle ne savait quoi faire de sa vie.

Un remède semblait s’imposer, comme pour sa soeur Elisabeth. Seul un voyage à Possenhofen, le « Possi » de son enfance, pourrait lui faire oublier la tristesse de sa situation.

Mais Il semble que le voyage à Possi ait eu un motif moins avouable. Au mois d’avril 1862, elle réalisa qu’elle était enceinte, non de son mari, car elle n’avait jamais eu de rapport avec lui, mais de son amant, Félix Emmanuel de Lavaysse, officier de la garde pontificale, qui avait été désigné comme le chevalier d’honneur de la reine, par le pape Pie IX.  Il fut son seul et unique amour. Sa soeur Mathilde avait été sa complice et sa confidente.

Annuaire des Zouaves pontificaux

En juin 1862, elle débarqua en Bavière et avoua tout à sa famille. Ils furent moins scandalisés qu’on ne pourrait l’imaginer. Son père lui dit même : « Ce sont des choses qui arrivent. »  Le conseil de famille auquel assistaient tous ses frères et sa soeur l’impératrice décida que l’essentiel était de garder l’affaire secrète. Le roi Maximilien, leur cousin, consentit à fermer les yeux à la condition que Marie Sophie jure de plus jamais revoir Félix Emmanuel de Lavaysse, ce qu’elle fit. Elle n’avait pas d’autre choix.

Zouaves pontificaux

François fut avisé que la santé de sa femme nécessitait un grand repos et que pour ce faire, elle entrerait momentanément au Couvent de Sainte Ursule, accompagnée de sa belle-soeur Henriette Mendel, baronne de Wallersee, pour laquelle son frère Louis avait renoncé à ses droits dynastiques.  Félix Emmanuel de Lavaysse tenta de la rejoindre mais il fut informé que s’il pénétrait sur le territoire de la Bavière, il serait arrêté. Il enfreint cet ordre mais ne réussit pas à voir Marie Sophie.  Le 24 novembre 1862, elle donnait naissance à une fille prénommée, Daisy. Le conseil de famille décida de lui enlever l’enfant immédiatement.

Daisy fut confiée à son père qui la reconnut.  Félix Emmanuel de Lavaysse avait contracté la tuberculose et mourut à Cannes en 1868 Sa fille Daisy mourut peu après de la même maladie.

Ne pouvant rester cloîtrée définitivement, Marie Sophie accepta le conseil de sa famille de retourner auprès de son mari. Elle posa comme condition de lui révéler la vérité. François, tombant des nues, lui aurait répondu : « Je t’attends. »

Il est possible qu’il ait enfin reconnu ses torts et ses manques à son devoir conjugal. Il n’y a pas de certitude que Daisy de Lavaysse ait bien été la fille de Marie Sophie. Il n’y a que des présomptions. Il est dit aussi qu’elle assista à ses obsèques, à la grande surprise de beaucoup et sans véritable autre raison que d’avoir été sa mère.

Il est tout-à-fait possible que cette histoire d’enfant illégitime, mainte fois rapportée, n’ait été qu’une calomnie de plus. Marie Sophie des Deux-Siciles ne laissait personne indifférent surtout pas le nouveau roi d’Italie et son gouvernement.

Certains vont même jusqu’à dire que Daisy avait eu une soeur jumelle, prénommée Viola, qui aurait été déclarée comme leur fille par son oncle Louis et Henriette. Mais les dates ne concordent pas car l’enfant du couple, connu sous le nom de Marie de Wallersee, baronne Larisch, est née en 1858. Elle sera une des héroïnes de la tragédie de Mayerling.

L’empire d’Autriche ayant reculé en Italie devant le Risorgimento et ayant du abandonner sa domination, reculait à nouveau et cette fois-ci devant la Prusse. L’unité italienne faite, il fallait l’unité allemande.

Pour le couple royal ce fut un coup de plus à subir. Leur famille était dans une spirale de défaites et de drames, même si le couronnement de Budapest en 1867, après le drame de l’exécution de Maximilien au Mexique, apporta un peu de baume. Les Hongrois vouaient à Elisabeth une admiration, voire un culte, qu’aurait aimé avoir Marie Sophie de la part de ses sujets napolitains. Mais il n’y avait entre les soeurs aucune ombre de jalousie et Marie Sophie se réjouit de la nouvelle gloire de sa soeur, qu’elle partagea lors de son séjour à Budapest dans l’été qui suivit.

François décida enfin de faire faire l’opération qui lui permettrait de devenir enfin le mari de sa femme. Il était amoureux d’elle depuis le premier jour, il avait pour elle une admiration immense mais il avait été incapable jusque là de l’honorer. En avril 1869, il put enfin annoncer que la reine était enceinte, à sa grande joie et à celle de leurs derniers fidèles. Le 24 décembre, Marie Sophie mit au monde une petite fille prénommée Marie Christine, comme la mère de François. Ils auraient préféré un garçon pour satisfaire aux besoins de la loi salique mais, elle à vingt-huit ans, et lui à trente et un, étaient heureux.

La comtesse Festetics, dame d’honneur de l’impératrice Elisabeth a écrit à propos de l’admiration que vouait François à sa femme : « Son roi est devant elle, comme devant moi le porteur de la gare. »

Malheureusement l’enfant mourut le 28 mars 1870. Ces quelques mois de bonheur, les seuls dans toute leur vie, n’avaient été qu’une illusion. Marie Sophie, impressionnante de douleur, quitta Rome pour Vienne le 25 mai. François la suivit quelques jours après pour s’installer sur les bords du lac de Sternberg.

Rome cessa d’être capitale pontificale le 20 septembre 1870, par l’entrée des troupes piémontaises. Victor-Emmanuel avait enfin la capitale dont il avait rêvé.

Le couple vécut désormais souvent chacun de son côté.  François fut de plus en plus religieux et Marie Sophie de plus en plus mondaine.

 

Marie Sophie

Du vivant de François, elle avait élu domicile à Paris, 15 rue Boissy d’Anglas, entre le début des Champs-Elysées et la rue du Faubourg Saint-Honoré, dans un hôtel meublé dit Hôtel Vouillemont.

La rue Boissy d’Anglas à Paris VIIIe

Marie Sophie y reçut Paul Bourget, l’ambassadeur Camille Barrère et Pierre Louÿs. Celui-ci devint par la suite un des hauts de l’intelligentsia parisienne où se croisaient Luigi Pirandello, Jacques Maritain, Jean Cocteau, Max Jacob, Robert Desnos, Léon-Paul Fargue, Francis Picabia, Fortunat Strowski, Félix Youssoupoff, Maurice Rostand, Maurice Sachs, Stanislas Fumet. C’est aujourd’hui un hôtel de luxe de la chaine Sofitel.

Elle s’agrégea dès lors à la haute société internationale. Sa personnalité, sa beauté, son statut d’héroïne, ses relations familiales ont fait d’elle une des reines de ce monde oisif et richissime. Elle même n’était pas riche et ne vivait que des subsides que les Rothschild lui versaient. Mais elle était de toutes les chasses et de tous les évènements mondains de l’Europe. Elle était devenue l’amie des frères Baltazzi, riches banquiers ottomans, d’origine vénitienne, parfaitement alliés et au pinacle de la société. Ils étaient les oncles de Marie Vetsera, la maîtresse de l’archiduc Rodolphe. Et c’est la reine des Deux-Siciles qui, lors de la saison à Londres, présenta les frères Baltazzi et leur soeur, Hélène baronne Vetsera, à l’impératrice d’Autriche. Leurs qualités équestres et leur immense fortune étaient de bonne recommandation.

Alexandre Baltazzi (1850-1914)

Héléne Baltazzi, baronne Vetsera 1847-1925

Installée ensuite près de Paris, à Neuilly 126 Boulevard Maillot, aujourd’hui Boulevard Maurice Barrès, elle tenait une cour informelle, un temps fréquentée par les anarchistes qui succédaient aux bandits du sud de l’Italie dans le désir de s’attaquer aux Savoie. Cela lui valut le surnom injustifié de « Reine des Anarchistes » car si elle était reine, elle n’était pas anarchiste et pensait se servir d’eux dans sa vengeance contre les Savoie. Elle n’avait toujours pas renoncé à l’idée de retrouver le trône des Deux-Siciles.

Boulevard de Maillot à Neuilly tel que l’a connu Marie Sophie

Marie Sophie fut soupçonnée d’avoir pris part à la révolte des ouvriers de Milan contre l’autorité royale  le 7 mai 1898. Elle aurait financé, avec l’argent des Rothschild, un char d’assaut pour aider les rebelles. La révolte fut réprimée dans le sang par le général Baca Beccaris.

 

La révolte de Milan le 7 mai 1898

Elle fut soupçonnée aussi d’avoir été du complot qui a permis d’assassiner le roi d’Italie Humbert Ier, le 29 juillet 1900. Mais il semble que l’assassinat ait été le fait de l’assassin seul, Gaetano Bresci, anarchiste qui voulait venger les ouvriers de Milan.

Un rapport de police datant du 23 février 1901 fait explicitement état des rapports que Marie Sophie entretenait avec les anarchistes, parmi eux un certain Errico Malatesta (1853-1932) une des grandes figures de l’anarchie, ayant opéré partout dans le monde.

Errico Malatesta (1853-1932)

Le gouvernement français n’ignorait rien des accointances de l’ex-reine de Naples avec ces individus et ne manquait pas d’en faire part à l’ambassadeur d’Italie, le comte Tornielli. Mais s’il est certain qu’elle les recevait, rien ne prouve qu’elle ait partagé leurs idées, loin de là, ni même aidé à leurs entreprises. Elle ne devait pas oublier que sa soeur, l’impératrice Elisabeth, était morte sous le coup de poignard d’un anarchiste italien.

La mort de ses soeurs, Hélène, princesse de Tours et Taxis le 16 mai 1890, Sophie duchesse d’Alençon le  4 mai 1897 dans l’incendie du Bazar de la Charité, Elisabeth impératrice d’Autriche assassinée le 10 septembre 1898 ont probablement plus endeuillé sa vie que celle de François mort le 27 décembre 1894 à Arco dans le Trentin, alors possession autrichienne. Seule lui restait Mathilde, comtesse de Trani.

Durant la première guerre mondiale, bien que sa nièce, Elisabeth fille de son frère Charle-Théodore, duc en Banvière, et de Marie Josèphe, infante du Portugal ait été reine des Belges, elle choisit le camp austro-allemand, peut-être guidée par sa haine des Savoie, alliés de la France et de l’Angleterre. De nouveau les rumeurs l’accusèrent de sabotage et d’espionnage contre l’Italie, accréditant son espoir que la défaite lui permettrait de retrouver son royaume de Naples.

Elisabeth, reine des Belges (1876-1965)

Mais les choses avaient bien changé, car à Naples elle n’aurait pas été un grand personnage, en dehors de la gloire de Gaète. N’ayant pas eu de fils susceptible de lui succéder, François II eut comme héritier dynastique, son demi-frère, Alphonse, comte de Caserte. Ce dernier avait épousé sa cousine, Marie-Antoinette de Bourbon des Deux-Siciles. Et c’est elle qui aurait été reine de Naples. Marie-Sophie le savait.

François II avec son frère le comte de Caserte et son neveu le duc de Calabre, ses héritiers

Alphonse et Marie Antoinette, comte et comtesse de Caserte

Quand elle apprit peu avant sa mort que sa petite-nièce la princesse Marie-Josée de Belgique, encore très jeune, était fiancée à l’héritier du trône d’Italie, elle en fut meurtrie et tenta de s’opposer à ces fiançailles. Une alliance avec les Savoie lui semblait être une trahison familiale.

Marie-José princesse de Belgique, reine d’Italie

Ruinée, elle n’avait même pas de quoi acheter un journal, disait-elle, elle mourut à Munich le 19 janvier 1925. Elle put voir Mussolini prendre le pouvoir et Hitler faire son premier coup d’état. Mathilde mourut peu de temps après, le 18 juin 1925.

Le monde dans lequel elle était née n’existait plus. Les soeurs de Bavière étaient désormais des figures de légende.

Le Gaulois fit paraître en première page l’annonce de sa mort, sous le titre « Mort de la reine de Naples » : « Une dépêche expédiée de Munich à 3h 45 nous apprend laconiquement la mort de S.M. la reine Marie des Deux-Siciles. »

Reine ! Elle ne l’était plus de puis soixante quatre ans, car elle fut avec le roi François II son époux, l’une des premières victimes des révolutions qui, depuis, renversèrent tant de trônes en Europe…Se souvient-on de la prise de Naples par Garibaldi, du siège de Gaète, en 1860, où la reine Marie allait elle-même ramasser les blessés, les soignant dans les hôpitaux, puis telle que l’a immortalisée l’image, en bottes éperonnées, avec la grande cape, la toque à longue plume posée sur les nattes de ses cheveux serrés, apportant à tous, depuis le roi jusqu’à ses plus humbles sujets, le réconfort de sa sublime bravoure et de son ardent patriotisme napolitain ?

En février 1861, la frégate française, La Mouette accostait en rade de Gaëte pour emmener les souverains qui partaient avec tous les honneurs de la guerre jusqu’au port de Terracine dans les Etats pontificaux. Le vicaire du Christ, Pie IX, seul, leur offrit une hospitalité digne d’eux, et les Majestés exilées demeurèrent à Rome, habitant le Palais Farnèse, propriété de la Maison de Bourbon-Siciles, jusqu’à l’entrée des troupes de Victor-Emmanuel qui, pour la deuxième fois les chassait. Le Roi François II et la Reine Marie vinrent alors à Paris, séjournèrent bien des années à l’hôtel Vouillemont et ce provisoire dura jusqu’à la mort du Roi de Naples en 1894.

Nous avons connu la Reine dans sa villa du boulevard Maillot, où elle vivait entourée de serviteurs napolitains, avec la nostalgie de son palais de marbre en face de la baie inoubliable. Cette Reine, venue au monde sous le ciel gris de la Bavière, ayant passé an à peine sur le trône des Deux-Siciles, ne se consola jamais d’avoir dû quitter les sujets qu’elle aimait avec passion et dont elle gardait un souvenir idéalisé par le recul des années…

Soeur de l’Impératrice Elisabeth d’Autriche, de Mme la duchesse d’Alençon, mortes si tragiquement, l’une assassinée, l’autre brulée à l’incendie du Bazar de la Charité, de la comtesse de Trani, de la princesse de Thurn et Taxis, la Reine Marie comptait aussi trois frères, et parmi eux le duc Charles-Théodore, le fameux oculiste, était son grand préféré. C’est, du reste, chez la Duchesse Charles-Théodore qu’elle vient de s’éteindre, dans le palais de Munich où une fraternelle hospitalité adoucissait les infortunes de cette reine du temps passé.

Elle avait vendu sa villa de Neuilly il y a deux ans, quittant la France, qu’elle aimait tenta avec un profond désespoir; et même ces derniers mois, elle ne cessait d’écrire à ses fidèles son ardent désir de revenir à Paris une dernière fois.

En dépit de sa fortune amoindrie par la guerre et les fluctuations du mark, la charitable souveraine demeurait à quatre-vingts ans ce qu’elle avait été à dix-neuf ans à Gaète. Elle ne pouvait passer à côté d’une infortune sans la secourir.

Au début de 1915, la Reine de Naples partit pour Genève, puis se rendit à Munich, où son but passionné était de venir au secours des prisonniers français et russes. Elle rassurait les famille angoissées en leur faisant donner des nouvelles et usait de son prestige pour obtenir des faveurs que l’on n’osait jamais lui refuser.

Que de bien fait en silence…et aux nôtres!

Avant de nous quitter pour toujours, Sa Majesté daigna nous convient dans sa résidence de Neuilly. Ses yeux étaient empreints de cette mélancolie que les récents évènements rendaient plus poignants encore. A ce moment précis, on ouvrit la porte du salon  et une gracieuse jeune femme vêtue de blanc entrain; ce fut une vision éblouissante. La Reine Elisabeth de Belgique, suivie du Duc de Brabant, venait surprendre la tante dont elle fut toujours la nièce chérie. Et la mélancolie coutumière de l’auguste souverain fit place à un sourire d’indéfinissable tendresse.

Le duc de Brabant futur Léopold III de Belgique

Les habitués du Bois de Boulogne d’avant la guerre y rencontraient tous les matins une grande et respectable dame à la fine silhouette, aux modes d’autrefois, se promenant avec ses chiens. On se demandait d’abord : « Qui est-ce ? » – « La Reine de Naples ! » Puis on saluait bien bas. Nous aussi, nous saluons avec un respect ému pour la dernière fois celle qui aima si sincèrement Paris et la France. » ( Le Gaulois – 20 janvier 1925)

Marie Sophie de Wittelsbach, duchesse en Bavière, reine des Deux-Siciles, est immortalisée dans une oeuvre majeure de la littérature française. « Je ne connais pas ce Monsieur Proust, aurait-elle dit quand on lui a rapporté le texte cité en tête de l’article après la mort de l’auteur, mais lui doit me connaître : jaurais agi ainsi quil me décrit dans son livre, il me semble. » (Merci à Patrick Germain pour cette dernière partie de récit de la dernière reine des Deux-Siciles)

Marie Sophie avec  son mari et ses beaux-frères