Constant raconte dans ses Mémoire la venue de Marie à Vienne, après cette longue séparation. « Après la bataille de Wagram, en 1809, l’empereur alla demeurer au palais de Schonbrunn. Il fit venir aussitôt madame V…, pour laquelle on avait loué et meublé une maison charmante dans l’un des faubourgs de Vienne, à peu de distance de Schonbrunn. J’allais mystérieusement la chercher tous les soirs dans une voiture fermée, sans armoiries, avec un seul domestique sans livrée.

Je l’amenais ainsi au palais par une porte dérobée, et je l’introduisais chez l’empereur. Le chemin, quoique fort court, n’était pas sans danger, surtout dans les temps de pluie, à cause des ornières et des trous qu’on rencontrait à chaque pas. Aussi l’empereur me disait-il presque tous les jours: «Prenez bien garde ce soir, Constant, il a plu aujourd’hui, le chemin doit être mauvais. Êtes-vous sûr de votre cocher ? La voiture est-elle en bon état ?» et autres questions de même genre, qui toutes témoignaient l’attachement sincère et vrai qu’il portait à madame V… L’empereur n’avait pas tort, au reste, de m’engager à prendre garde, car un soir que nous étions partis de chez madame V… un peu plus tard que de coutume, le cocher nous versa. En voulant éviter une ornière, il avait jeté la voiture dans le débord du chemin. J’étais à droite de madame V…; la voiture tomba sur le côté droit, de sorte que seul j’eus à souffrir de la chute, et que madame V…, en tombant sur moi, ne se fit aucun mal. Je fus content de l’avoir garantie. Je le lui dis, et elle m’en témoigna sa reconnaissance avec une grâce qui n’appartenait qu’à elle. Le mal que j’avais ressenti fut bientôt dissipé. Je me mis à en rire le premier, et madame V… ensuite, qui raconta notre accident à Sa Majesté aussitôt que nous fûmes arrivés. »

A Schönbrunn, Napoléon s’était installé dans les appartements de l’Empereur François, il dormait dans ce qui avait été la chambre de Marie-Thérèse et de François-Etienne, celle-même où son fils, le roi de Rome, duc de Reichstadt, mourra plus de vingt après. Le couple retrouve son intimité de Finckenstein parfois dans la maison louée pour elle à Mödling, mais souvent au château dans un appartement aménagé spécialement où ils dorment ensemble.

Salon Napoléon

C’est à Schönbrunn, que fut conçu leur fils, Alexandre, qui deviendra le comte Colonna-Walewski. Au mois d’août Marie lui avait confié être enceinte. Napoléon en conçut une joie immense. Outre son amour pour Marie, il y avait la preuve qu’il n’était pas stérile. Le 15 décembre 1809, le divorce du couple impérial fut prononcé. Involontairement de sa part, la grossesse de Marie avait décidé l’Empereur à hâter le divorce.

Divorce de Napoléon et Joséphine par Henri-Frédéric Schopin

On pensa alors que Napoléon allait épouser Marie, qu’il qualifiait déjà de « son épouse polonaise ». Mais il n’en fut rien car comme il le déclara à son frère Lucien : « Vous riez de me voir amoureux ; oui je le suis en effet, mais toujours subordonnément à ma politique qui veut que j’épouse une princesse, quoique je préfèrerais bien couronner ma maîtresse. »

«  Je n’essaierai pas de raconter tous les soins, tous les égards dont l’empereur l’entoura. » écrivit Constant. Napoléon est heureux et il le montre.

La question du lieu de l’accouchement est épineuse. Il conviendrait qu’elle accouche à Varsovie, dans un ultime sursaut pour sauver les apparence, qui de toutes façons ne trompent plus personne. Mais tous les deux souhaitent qu’elle accouche à Paris. Elle n’a pas envie de le quitter et lui non plus. Mais Varsovie l’emporte. Avant de quitter Vienne, pressentant que rien ne serait plus comme avant, Marie remet à Napoléon une bague avec une boucle de ses cheveux et une inscription : « Quand tu cesseras de m’aimer, n’oublie pas que je t’aime. »

Napoléon arrive à Paris le 26 novembre 1809. Il expédie son divorce avec Joséphine. Marie n’est en rien responsable de sa décision. Nul ne peut lui reprocher d’avoir été l’instrument de la séparation entre les époux. Jamais elle ne lui a demandé de quitter Joséphine pour elle. Joséphine le savait comme elle savait que Napoléon désirait une union plus prestigieuse. Elle ne lui en a jamais vraiment voulu.

De Schönbrunn, Napoléon avait envoyé demandé au tsar, Alexandre 1er, de lui accorder la main de sa soeur cadette, la grande-duchesse Anna. Bien que tenté de céder, le tsar dût s’incliner devant le refus absolu de sa mère, née Sophie-Dorothée de Wurtemberg, qui avait été avec la comtesse du Nord lors de son voyage en France en 1782. Il ne deviendrait pas le beau-frère de Napoléon malgré le gage que celui-ci lui donnait de ne pas faire renaître la Pologne, contrairement à ce qu’il avait promis à Marie.

Qu’à cela ne tienne, Napoléon reçoit une offre encore plus brillante de la part de Metternich : une archiduchesse d’Autriche, la fille aînée de l’empereur François, Marie-Louise. La demande en mariage est faite officiellement le le 7 mars 1810. Il est célébré par procuration en Autriche le 11 mars 1810, consommé le 27 mars et célébré officiellement en France le 2 avril.

Dès février, les tractations du mariage étaient connues en Europe et c’est à Kiernozia que Marie apprend la nouvelle. Il n’y a pas de relation de la manière dont elle l’accepta. Mais on peut la supposer résignée et malgré tout amoureuse. Comme celui de la Pologne, le sort de Marie est scellé. Son pays ne renaîtra pas et elle n’épousera pas le père de son enfant. Elle n’avait jamais d’ailleurs songé à devenir impératrice des Français.

Les sentiments de Napoléon ne sont pas à son honneur. Il abandonne Joséphine, à laquelle il devait malgré tout beaucoup. Il a des maîtresses en plus de Marie « son épouse polonaise ». Alors il peut le faire, il ne l’épouse pas, malgré l’amour qu’il lui déclare. Il épouse Marie-Louise « un ventre » séculaire, dont il tombe amoureux.

Alexandre Florian Joseph nait à Walowice le 4 mai 1810. Il est reconnu avec élégance par Athanase Walewski, qui évite ainsi d’entraîner sa femme dans le scandale d’avoir officiellement un enfant adultérin, fût-il fils d’empereur. Il portera donc le nom de Colonna Walewski.

Le 21 février 1810, avait écrit à Marie : « Chère et honorée femme, Walewice m’est de plus en plus à charge, mon âge et mon état de santé m’interdisent toute activité. J’y suis donc venu pour la dernière fois afin de signer l’acte par lequel mon fils aîné en devienne propriétaire. Je vous conseille de vous entendre avec lui, afin de régler les formalités liées à la naissance l’enfant que vous attendez. Elle seront facilitées si ce Walewski naît à Walewice. Tel est aussi l’avis de mon fils aîné et je vous en informe. Je le fais conscient de remplir mon devoir et en priant Dieu qu’il vous protège. » Le fils aîné est certainement Jean-Joseph comte Colonna-Walewski née en 1765 de sa première union avec Marie Madeleine Eva Tyzenhauzow. Il a donc 45 ans à l’époque.

 

Acte de naissance de Alexandre Florian Joseph Walewski

Le comte Walewski avait peut-être attendu la nouvelle du remariage de Napoléon avec l’archiduchesse Marie-Louise pour offrir son nom à l’enfant. Peut-être avait-il aussi espéré que Marie devienne impératrice ? Mais devant la réalité, il sut se montrer gentilhomme.

Napoléon apprend la naissance de son fils alors qu’il est en voyage en Belgique. Il envoie immédiatement vingt mille francs en or pour Alexandre, des dentelles de Bruges et une édition ancienne des oeuvres de Corneille pour Marie, le tout accompagné d’un billet affectueux. Mais Marie-Louise, dont Napoléon a raconté plus tard : « Elle aimait bien au reste, avec ses seins ou de quelques manières, tenter d’éveiller mes sens », occupe ses pensées et répond parfaitement à ses attentes sexuelles.

Mais il n’en oublie pas Marie pour autant : « Si votre santé est bien rétablie, je désire que vous veniez sur la fin de l’automne à Paris où je désire vous voir. Ne doutez jamais de l’intérêt que je vous porte et des sentiments que vous me connaissaient » Il charge Théodore, le frère de Marie d’aller la chercher. Homme désintéressé, il restera un ami fidèle pour sa soeur et plus tard un oncle aimant et attentif pour le neveu qui vient de naître.

Marie Walewska

En novembre, ils quittent Walowice, en grand équipage. Marie emmène avec elle, ses deux enfants, les deux nièces de son mari et une nuée de domestiques. Ils remplissent trois voitures à eux tous.
Le vieux mari reste à Walovice bien évidemment, peut-être un peu dépité de voir la belle jeune femme qu’il s’était choisi pour al fin de ses jours, lui échapper pour toujours.
Marie trouve une installation préparée pour elle. Elle ne s’installera pas à Paris mais à Boulogne, au 7 rue de Montmorency dans un bel hôtel particulier, entre cour et jardin, de deux étages sur rez-de-chaussée.

Sa chambre est au premier meublée d’acajou : lit, toilette, secrétaire, bureau. Elle comporte en outre quatre fauteuil, deux bergères, une méridienne. Mais elle a conservé son hôtel de la rue de la Houssaye., dont elle est propriétaire alors que la maison de Boulogne est louée et le loyer, comme l’ensemble des dépenses, est réglé par la cassette personnelle de l’empereur.

 

Maison 7 rue de Montmorency à Boulogne

Boulogne est près de Saint-Cloud, une des résidences favorites de l’empereur. Il rend visite à Marie à un rythme dont nous ignorons tout. Il la reçoit parfois aux Tuileries. Même si cela n’est plus la passion du début, les deux amants éprouvent une grande tendresse l’un pour l’autre. Et Marie devient une vraie parisienne. Il n’est plus question pour elle de rester recluse.

Elle sort dans la société impériale, elle va aux bals donnés par la princesse Borghèse. Elle voit aussi la reine Hortense, séparée de son mari, Louis Bonaparte, roi de Hollande, qui, comme elle met un enfant naturel au monde. Le père est Charles de Flahaut et l’enfant sera le futur duc de Morny.

Pauline Bonaparte, princesse Borghèse

Marie accepte les présents qui lui sont faits par l’empereur, elle ne jette plus à terre les diamants, elle trouve naturel le train de vie somptueux qui lui est fait. Mais cette vie n’est pas que fêtes, il y a aussi les contraintes imposées par Napoléon. Il lui impose la discrétion de leur relation. Personne ne doit savoir et pourtant tout le monde sait. Lorsque Marie séjourne à Varsovie, l’ambassadeur de France « regarda comme son devoir de la traiter en fac-similé d’impératrice. Elle eut le pas sur toutes ces dames. Aux dîners d’apparat elle fut toujours servie la première, occupa la place d’honneur et reçut tous les hommages et les marques de respect ! Ce qui choqua visiblement les douairières et donna de l’humeur à leurs maris…Elle s’était prodigieusement formée pendant son séjour en France, elle avait pris un aplomb modeste, difficile à soutenir dans la position équivoque où elle se trouvait. Ayant à ménager Marie Louise, fort jalouse, dit-on, Madame Walewska sut au milieu de Paris faire douter des rapports secrets qu’elle avait conservés avec l’empereur. » ( Mémoires de la comtesse Potocka)

Marie doit aussi supporter d’être présentée à l’impératrice. On peut aisément imaginer le peu de plaisir qu’elle prit à cette cérémonie. Mais Napoléon tenait à l’étiquette et si elle devait assister aux soirées de la cour, elle devait avoir été présentée. Comme les aristocrates de son époque, elle voyage en grand train, emportant avec une fois cent cinquante robes. Elle fréquente les stations thermales à la mode.

Elle fait l’admiration de ceux qui l’approchent tant par sa beauté que par son maintien et sa gentillesse. Les Polonais de passage ou en exil trouvent toujours du secours chez elle. La comtesse Potocka, qui n’a besoin d’aucun secours, voit aussi « Madame Walewska une des créatures les plus attachantes de son époque. »

Peut-on dire qu’elle est devenue la coqueluche de Paris ? On se presse chez Gérard pour voir le portrait qu’il a fait d’elle.

Au milieu de ce tourbillon mondain, elle s’occupe de ses enfants. Mais la fête impériale va bientôt s’achever. Le tsar a décidé de reprendre les hostilités. Marie et les Polonais de Paris sentent bien le danger que cela représente pour leur patrie. Kosciusko, le héros de l’indépendance, toujours vivant est reçu par Marie. Il l’étreint et prenant l’écharpe aux couleurs de la Pologne qu’elle porte au bras, il l’embrasse le morceau d’étoffer et l’envoie en Pologne.

Elle évite de parler politique avec Napoléon. Elle sent combien il est ombrageux et elle ne va pas ajouter de l’indiscrétion à ses soucis.

En avril 1812, la « Grande Armée » est prête à entrer en campagne. Malgré ses soucis Napoléon songe à Marie, à assurer son avenir et celui de son enfant, Alexandre, qui lui ressemble. Le 5 mai 1812, il constitue un majorat en sa faveur, avec l’attribution du titre de comte de l’

 

 

Armes d’Alexandre Florian Joseph Colonna Walewski Comte d’Empire

Le titre et le majorat sont transmissibles héréditairement en premier à l’héritier mâle et à défaut à ses filles. « transmissible à la descendance directe et légitime, naturelle ou adoptive ». Marie en sera usufruitière jusqu’à la majorité de son fils, puis elle recevra une rente annuelle de cinquante mille francs.

Cette donation comporte d’immenses domaines dans le royaume de Naples qui rapportent à eux seuls la somme annuelle de 170 000 francs.

Marie Walewska par Gérard en 1812

Marie n’est toujours pas divorcée du comte Walewski et les affaires de ce dernier vont mal. Il est couvert de dettes et Marie craint que cette situation ne vienne obérer la fortune de son fils, officiellement le fils du comte. Il s’agit donc de divorcer. La demande en divorce est introduite par marie le 18 juillet 1812, au motif qu’elle a été contrainte par sa famille à l’épouser – le même motif serait valable en cas de demande d’annulation – le comte Walewski ne faisant aucun opposition, le divorce est prononcé le 24 août. Dans le règlement du divorce, elle obtient la moitié des biens de ce dernier, à la condition de constituer un majorat en faveur de leur fils commun. Elle s’engage à élever les deux enfants, ce qui ne dut pas lui être difficile au vu de son amour maternel.

L’inquiétude pour Napoléon est présente dans son esprit. Elle est tenue au courant de la campagne de Russie. Elle est toujours en Pologne lors de l’incendie de Moscou. Napoléon, rentrant en France, s’arrête à Varsovie. Marie est à Walewice. Certains prétendent qu’ils se sont vus alors. Mais rien n’est moins sûr. Conscient du danger, Napoléon lui ordonne de quitter la Pologne et de rentrer à Paris, ce qu’elle fait en janvier 1813. Elle y trouve une atmosphère d’exubérance mondaine.

Paris ne réalise pas la gravité de la situation et Napoléon ne veut surtout pas d’affolement. Marie paraît à la cour de l’impératrice Marie-Louise, sans doute sur l’ordre de l’empereur mais elle reçoit la plus surprenante des invitations. L’impératrice douairière Joséphine l’invite à venir la voir en compagnie de son fils à La Malmaison. Même si Marie ne fut pour rien dans le divorce impérial, on peut imaginer que Joséphine n’avait aucun plaisir à entendre parler d’elle. Marie hésitait et la reine Hortense sut la convaincre d’accepter. Elle y reviendra. Selon un témoin de l’époque, la première dame de l’impératrice, « L’Impératrice témoignait beaucoup d’amitié à madame Walewska. Devant tout le monde, elle vantait ses qualités exceptionnelles et affirmait que cette bonne personne n’était pour rien dans ses malheurs. Elle lui faisait des cadeaux et comblait son fils de joujoux. Et se montrait frappée de sa ressemblance avec l’Empereur. » ( Mémoires de Mademoiselle d’Arvaillon) Il est difficile de dire si Napoléon fut contrarié ou non du rapprochement entre les deux seules femmes qu’il ait vraiment aimées.

 

Joséphine à La Malmaison en 1812

Pris par d’autres soucis, pris par le désir de ne pas déplaire à son épouse, une Habsbourg-Lorraine, la mère de son fils, l’héritier du trône, l’empereur délaisse Marie. Elle a vingt-sept ans. Elle est dans tout l’éclat de sa beauté, elle est une femme épanouie mais elle est probablement frustrée de ne voir son amant que rapidement et entre deux de ses soucis. Elle a des admirateurs qui l’entourent et lui font savoir son admiration. Mais elle n’en a cure car elle est fidèle.

Mais le 2 mai 1813, elle reçoit une lettre d’un nouvel admirateur : « Ma profonde gratitude ne vous est pas seulement due pour m’avoir reçu avec tant de grâce charmante, pour m’avoir consacré votre temps ; le sentiment que vous m’inspirez me fait votre obligé plus encore. Ne le partageriez vous jamais qu’il m’aurait donné des heures d’un ineffable douceur, auxquelles il me semble interdite demander davantage…J’attendrai. » C’est ainsi que Philippe d’Ornano, général, comte d’Empire et parent de l’empereur – sa mère Isabelle Bonaparte était la cousine germaine de Charles-Marie Bonaparte, père de Napoléon – se déclarait. (Merci à Patrick Germain pour cette 7ème et avant-dernière partie)