A l’Opéra de Paris-Bastille, vient d’avoir lieu la première de Don Carlo, opéra de Verdi, inspiré du drame historique écrit par Friedrich Schiller en 1787. Le spectacle est considéré comme l’événement lyrique de l’année, en raison du plateau exceptionnel qu’il réunit : Jonas Kauffmann dans le rôle titre, Ildar Abdrazakov dans celui de son père Philippe II, Sonya Yoncheva en princesse Elisabeth de Valois, Elina Garanca en princesse d’Eboli, et Ludovic Tezier dans le rôle du comte de Posa, ami intime et confident de l’infant Carlo (ci-dessus), tout ce beau monde mis en scène par Kryztof Warlikowski, qui se fait fort de bousculer les visions traditionnelles des œuvres et le confort des spectateurs, lesquels réagissent parfois, mais pas toujours, assez vivement.

Chez Verdi donc (comme chez Schiller), l’Infant Don Carlo est un jeune homme romantique que l’on a, pour des raison politiques, fiancé à une princesse française, Elisabeth, fille d’Henri II et de Catherine de Médicis, qu’il ne connaît pas mais pour laquelle il a vite fait de s’enflammer. Malheureusement pour lui, son père, le roi Philippe II, présenté comme un vieillard bigot et tyrannique, décide, étant devenu veuf de Marie Tudor, de souffler à son fils la (très) jeune princesse Elisabeth et de l’épouser.

Don Carlo souffre mille morts, à la fois de cet amour entrevu et déjà retiré, et de l’humiliation infligée par son père. De son côté, Elisabeth est éprise du jeune infant, mais sa conception du devoir l’oblige à  faire ce qu’on attend d’elle: renoncer au fils et se marier avec le père.

Cela, c’est la fiction. Car dans la réalité, les choses ont été bien différentes. L’infant Carlo n’était pas épris d’Elisabeth, qui était encore une gamine et qu’il n’avait jamais vue. Mais il était affreusement vexé de s’être fait ‘’voler‘’ sa promise et incapable de surmonter la moindre blessure d’amour-propre. Son père, le roi Philippe II, n’était pas un vieillard, mais un homme dans la trentaine qui ne connaissait que trop bien les troubles de la personnalité dont souffrait son fils, inconstant, caractériel, impulsif, cruel, et hideux de surcroit. Il le savait donc inapte à ce mariage, d’où sa décision d’épouser lui-même Elisabeth. Celle-ci, bien que n’ayant pas son mot à dire, n’était pas éprise du fils, mais forma avec le père un couple uni, ce dont rend compte la très grande peine du roi lorsque mourut Elisabeth à l’âge de 23 ans.

On peut donc applaudir sans réserve l’opéra de Verdi, tout en sachant qu’il n’a rien à voir avec la vérité historique. Mais l’art a ses droits, et en premier lieu celui de jouer avec la réalité. Il suffit d’en être averti. (Merci à Pierre-Yves)