Après le départ de la famille impériale, le gouvernement bolchevique décida d’ouvrir au public les appartements du palais tels qu’ils étaient dans le but de jeter le discrédit sur l’ex- famille impériale. Mais le résultat fut à l’inverse de l’effet escompté, et les très nombreux visiteurs qui se pressaient éprouvèrent aussitôt de la sympathie pour cette famille unie, heureuse et vivant dans un cadre simplement bourgeois, loin de la caricature de « Nicolas le Sanguinaire » que leur avait présentée le nouveau pouvoir communiste.

Et rapidement, au grand dam des communistes, ce musée devint le plus visité de la nouvelle union soviétique. Ce qui allait occasionner sa fermeture dès 1919, la transformation des lieux en colonie de vacances, puis leur affectation à la police du soviet de Petrograd et enfin, la dispersion d’une partie des collections vendues aux enchères au début des années 20 par ordre de Lénine pour financer sa coûteuse NEP (nouvelle politique économique).

En juillet 1941, face à la progression spectaculaire de l’armée allemande, les autorités n’eurent le temps d’évacuer vers Petrograd devenue Léningrad que 400 caisses contenant les plus précieux meubles et objets parmi les quelques 6000 pièces qui se trouvaient alors à l’intérieur du palais.

Quelques semaines plus tard, en septembre 1941 le palais Alexandre était occupé par la Wehrmacht et transformé en caserne pour les SS. Ceux-ci vandalisèrent aussitôt les lieux en pillant ou brisant le mobilier qui n’avait pu être évacué à temps. Les 17 000 livres (dont la plupart étaient en français) que contenait l’immense bibliothèque constituée par Catherine II pour son petit-fils Alexandre 1er furent intégralement volés.

C’est un palais dévasté, endommagé par les tirs d’obus, vide de son mobilier et dont les murs étaient couverts d’inscriptions injurieuses à l’égard des soviétiques mais qui, par bonheur, n’avait pas été incendié, que retrouvèrent en janvier 1944 les conservateurs du domaine après la défaite du 3e Reich. Ils commencèrent alors une longue traque pour s’efforcer de récupérer en Allemagne le maximum de pièces de mobiliers, objets d’art et de tableaux qui avaient été pillées aussi bien que tout ce qui avait été déposé dans les autres anciennes résidences impériales (palais d’Hiver, palais de Pavlovsk). Cette longue traque, qui se poursuivra patiemment pendant près de 20 ans, va permettre de récupérer progressivement près d’un millier de pièces.

La restauration du palais gravement détérioré par l’occupation allemande s’effectuera simultanément mais, à la demande expresse de Staline, soucieux d’éradiquer à tout jamais le souvenir de Nicolas II, tout ce qui restait du décor des anciens appartements privés du dernier tsar sera irrémédiablement détruit et les lieux seront ensuite affectés à la marine soviétique. Et le reste de l’ « encombrant » palais, trop lié au souvenir du dernier tsar, sera alors fermé au public

Ce n’est qu’à partir de la pérestroika initiée par Mikhail Gorbatchev en 1986 que les Russes vont découvrir la véritable histoire de Nicolas II que les autorités soviétiques leur avaient soigneusement cachée pendant 70 ans.

Loin des tyrans sanguinaires qu’on leur avait décrits, ils vont découvrir avec intérêt et compassion la véritable existence de leurs derniers souverains : l’histoire d’amour qu’ils ont vécue, le bonheur familial qu’ils ont partagé jusque dans l’adversité et la tragédie finale qu’ils ont connue.

Et depuis, dans un grand élan de redécouverte de leur histoire, les russes se passionnent pour la destinée de leur ancienne famille impériale que l’église orthodoxe russe a solennellement canonisée dans son ensemble le 14 août 2000 « comme martyrs ayant vécu la Passion du Christ » et que la Cour Suprême de Russie a pleinement réhabilitée en 2008 en la reconnaissant comme « victimes d’un crime du bolchévisme ». Des églises sont construites en nombre et consacrées à sa mémoire des sept nouveaux saints martyrs, des statues sont inaugurées en nombre et des expositions ont lieu aux quatre coins de l’ancien empire.

La dernière rassemblait quelques 1000 objets évoquant la vie de Nicolas II au palais Alexandre, elle s’est tenue pendant plus d’un an au palais de Tsaritsyne près de Moscou, de décembre 2016 à janvier 2018 et a accueilli près d’un million de visiteurs. 

Elle rassemblait à la fois des tableaux, des meubles d’apparat ou des appartements privés, des uniformes, des sculptures encore des souvenirs personnels comme ce ravissant portrait du tsarévitch posant dans le salon des portraits du palais Alexandre. 

Ce n’est qu’au moment de la péreistroïka que le palais Alexandre rouvrira ses portes et que la conservation du domaine de Tsarkoie-Sélo sur lequel il se situe va s’efforcer d’évoquer largement l’histoire des souverains, confisquée par le pouvoir communiste, et de restituer l’atmosphère des appartements privés de ce qui fut le dernier palais impérial.

Ainsi après le rétablissement des remarquables marqueteries des parquets, la restauration des stucs, des plâtres et des marbres, les vastes salons de réception ont pu retrouver les grands portraits en pied des empereurs de Russie et une partie de leur mobilier néoclassique d’origine, récupéré dans les autres musées de Russie ou bien retrouvés en Allemagne.

Le salon de réception-billard de Nicolas II a pu également être pour partiellement reconstitué avec une partie importante de son mobilier d’origine de style Art Nouveau.

Dans les autres pièces, il ne s’est agi que d’évocations, trop d’éléments originaux manquant : ainsi du cabinet de travail de l’impératrice qui a retrouvé une partie de son mobilier Art Nouveau, ou bien de la chambre du tsarévitch qui a retrouvé son lit et sa collection d’icônes.

Tandis que les uniformes du tsarévitch et les poupées des grandes-duchesses ont été soigneusement regroupés dans l’emplacement de l’ancienne salle de jeux des enfants impériaux.

Mais, depuis août 2015, le palais Alexandre est fermé et ceinturé par d’imposantes palissades bleues.

Car une restauration exemplaire est en cours de réalisation : à l’instar de ce qui a été accompli avec un succès dans les palais de Peterhof, de Gatchina ou le grand palais Catherine de Tsarkoie Sélo, une armée de menuisiers, sculpteurs, doreurs, ébénistes, tapissiers, marbriers et stucateurs œuvre avec patience et talent depuis deux ans pour restituer au palais Alexandre tout le lustre qui était le sien du temps de Nicolas II.

A partir des nombreuses photos prises dans les années 20, ils reconstituent fidèlement six des principales pièces des appartements privés de la famille impériale : le bureau de Nicolas II, le boudoir mauve, le salon de palissandre et le salon de l’impératrice Alexandra, la chambre impériale ainsi que la salle de bains mauresque du tsar.

Une fois ces six pièces restaurées, y seront replacés les quelques 1500 pièces d’origine (mobilier, tableaux, porcelaines, luminaires, objets d’art, livres, uniformes, jouets….) qui ont pu être patiemment retrouvées soit en Allemagne où les nazis les avaient transportées, soit dans les autres palais impériaux (palais Catherine, palais de Pavlovsk, musée de l’Hermitage). Cette opération de restauration exceptionnelle est estimée à un coût de 40 millions d’€ en grande majorité financé par la fédération de Russie.

Et l’inauguration du splendide palais Alexandre de Tsarkoie Sélo, restauré devrait avoir lieu solennellement dans un an, le 17 juillet 2018, soit cent ans jour pour jour après l’horrible assassinat d’Ekaterinbourg, comme une éclatante réhabilitation de l’empereur Nicolas II et de toute la famille impériale de Russie. (Merci à Néoclassique pour cet article)

Un nouvel épisode en octobre prochain.