En ce centenaire de la victoire de la Première Guerre Mondiale, il convient de se rappeler que les femmes si elles ont largement contribué à l’effort de guerre à l’arrière, elles ont aussi été au front. Voici quelques portraits d’héroïnes sous la plume de Patrick Germain. Ci-dessus, Louise de Bettignies.

Pour Martine Gasquet, « Face à l’injustice de l’Histoire qui n’a retenu de la guerre de 1914 que l’héroïsme de ses soldats, il est temps de rappeler le rôle essentiel des femmes durant ce conflit. Les hommes partis au front, la France se tourne vers celles qui les ont silencieusement accompagnés jusqu’alors. Dans l’anonymat le plus complet, les femmes accomplissent des travaux physiques hors du commun. Les immenses terres agricoles sont désormais entre leurs mains afin que la nation ne meure pas de faim. Les industriels ne pourraient pas faire face aux besoins en armement sans les munitionnettes et leurs douze heures de présence quotidienne dans les usines.

Sur le devant des tribunes, des personnalités fortes voient le jour. Féministes et pacifistes décrient les horreurs et le non-sens des combats. Certaines d’entre elles, telle Edith Warthon, inventeront un journalisme de guerre en se rendant dans les zones d’occupation.

La souffrance des soldats est si grande que des femmes courageuses, à l’image de la reine Élisabeth de Belgique, mettent toute leur énergie à sauver des vies et même à convaincre les états-majors de l’absolue nécessité d’utiliser les « petites Curie » sur les champs de bataille. Leur détermination les conduira jusque dans les premières lignes de tir que Marthe Richard, aviatrice hors pair, survolera dans son appareil.

Dans le jeu de la guerre apparaît aussi un nouveau métier : l’espionnage. Mais bien loin de l’image sulfureuse de Mata Hari, Louise de Bettignies invente le maillage de la Résistance. Victorieuses, mais oubliées : la réalité de l’Histoire s’exprime dans ce paradoxe. La femme moderne peut enfin naître. »

Voici quelques unes des héroïnes dont la mémoire est évoquée par Martine Gasquet.

Louise Marie Henriette Jeanne de Bettignies, née le 15 juillet 1880 à St-Amand-les-Eaux, morte le 27 septembre 1918 à Cologne, est un agent secret français qui espionna, sous le pseudonyme d’Alice Dubois, pour l’armée britannique.

Née dans une famille noble du nord de la France, elle fit d’excellentes études et apprit à maîtriser parfaitement l’anglais, l’allemand et l’italien. On lui offrit d’être la gouvernante des enfants Hohenberg, fils de l’archiduc François-Ferdinand, poste qu’elle refusa.

Dès octobre 1914, elle décida de faire de la résistance à l’occupant allemand de la ville de Lille. Mgr Charost, évêque de Lille, lui demanda de transporter du courrier en France libre. elle voyagea sous le pseudonyme d’Alice Dubois. Dès lors, formée à l’espionnage, par les services secrets britanniques, elle organisa un vaste réseau de renseignement dans le nord de la France pour le compte de l’armée britannique. Elle sauva la vie de plus d’un millier de soldats britanniques. Elle transmit au gouvernement français l’information d’une gigantesque attaque préparée par les Allemands à Verdun pour le début 1916. Elle ne fut pas vue.

Le 20 octobre 1915, elle fut arrêtée par les Allemands près de Tournai. Condamnée à mort, sa peine fut commuée en prison à perpétuité et transférée à la prison de Siegburg où elle fut mise à l’isolement dans un cachot noir et humide. On lui refusa les soins exigés par sa santé. Elle mourut le 27 septembre 1918 d’un abcès pleural. Elle fut rapatriée en France le 21 février 1920. Elle reçut à titre posthume, la croix de la Légion d’Honneur, la Croix de Guerre avec palme, la médaille militaire anglaise et fut faite officier de l’Ordre de l’Empire britannique.

Edith Louisa Cavell, née le 4 décembre 1865 en Angleterre et décédée le 12 octobre 1915 en Belgique, est un infirmière britannique fusillée par les Allemands pour avoir permis l’évasion de centaines de soldats alliés de la Belgique alors sous occupation allemande.

Agent secret britannique, elle a abandonnée son activité pour aider les soldats alliés à passer de la Belgique vers les Pays-Bas, grâce à un réseau d’évasion organisé par les Belges. Les membres du réseau furent arrêtés en juillet 1915. Edith Cavell ne se défendit pas lors de son procès admettant ce qui lui était reproché. Malgré une campagne internationale en sa faveur, elle fut fusillée. Selon le pasteur luthérien qui l’a assistée, elle “a professé sa foi chrétienne et, en cela, elle était heureuse de mourir pour son pays…Elle est morte en héroïne.” Le roi George V assista au service célébré à Westminster lors du transfert de ses cendres.

S.A.S. Marie Elisabeth Louise de Croÿ, princesse de Croÿ et de Solre, est née à Londres le 26 novembre 1875 et morte à Saint-Benin-d’Azy est une aristocrate belge qui, aux côtés d’Edith Cavell, organisa un réseau de résistance et de renseignement contre l’armée allemande. Elle a été arrêtée, déportée à la prison de Sieburg et condamnée à dix ans de travaux forcés. Les interventions du roi d’Espagne et de Mgr Pacelli, alors noce apostolique, lui auraient permis d’être libérée, ce qu’elle refusa car ses compagnes de prison, dont la baronne Marthe Boël, ne pouvaient bénéficier de la même faveur.

Admise à l’hôpital de Bonn, le 4 août 1917, elle fut libérée le 13 novembre 1918. Elle était très liée avec la reine Elisabeth de Belgique et la reine Mary de Grande-Bretagne. Durant la deuxième Guerre Mondiale, elle eût le même comportement héroïque. Elle fut faite chevalier de l’Ordre de Léopold et de l’ordre de la Légion d’Honneur.

Marie Félicité Elisabeth Marvingt est née le 20 février 1875 à Aurillac et morte le 14 décembre 1963 à Laxou.

Infirmière, licenciée en Lettre, parlant sept langues, elle fut un pionnière de l’aviation et l’un des meilleures alpinistes du début du XXe siècle. Elle est aussi la femme la plus décorée de France, avec trente décorations dont la Légion d’Honneur et la Croix de Guerre avec Palmes.

Déguisée en homme, elle a participé à plusieurs actions militaires dans les tranchées. Découverte, elle fut renvoyée, mais avec l’aval du maréchal Foch elle fut intégrée dans le 3ème Régiment de Chasseurs alpins dans les Dolomites italiennes et oeuvra pour l’évacuation et la prise en charge des blessés, en terrain montagnard, intervenante volontaire de la Croix-Rouge.

En 1915, elle effectua sa première opération de bombardement d’une caserne allemande à Metz, première femme au monde à être engagée dans l’aviation militaire à effectuer des missions de combat aérien.

Marie Skłodowska-Curie n’est pas à présenter. Elle est une des gloires de la recherche scientifique mondiale .

En 1914, dès la déclaration de guerre, avec l’aide de la Croix-Rouge, elle participe à la conceptions de dix-huit unités chirurgicales mobiles, des ambulances radiologiques, surnommées “le petites Curies”. Ces véhicules se rendant au plus près des champs de bataille, évitant ainsi aux blessés la longueur et les aléas d’un transport, permettent de prendre des radiographies des malades, utiles à déterminer la position des éclats d’obus et de balles, facilitant ainsi l’opération chirurgicale.

La première unité mobile a été construite par elle en empruntant la voiture de la princesse de Polignac. Elle a aussi participé à la création de 150 postes fixes de radiologie dans les hôpitaux militaires.

Née le 7 novembre 1867 à Varsovie, elle est morte au sanatorium de Sancellemoz, en Savoie, le 4 juillet 1934. Elle a obtenu deux prix Nobel, événement dont la presse française ne fit pas mention en ces périodes de xénophobie, alors que l’étudiante polonaise est aujourd’hui une des gloires de la France et repose au Panthéon.

Née le 10 février 1847 à Paris et décédée au château de Dampierre le 3 février 1933, la duchesse d’Uzès fut une des femmes les plus remarquables de son époque.

Pionnière de l’automobile, Maître d’équipage, membre pour un temps de la Société Protectrice des Animaux, amie de Louise Michel, elle eut aussi sa part dans la Première Guerre Mondiale. Elle constitua, sur l’intervention du chirurgien militaire Maurice Marcille, convaincu de la nécessité de soigner au plus vite certaines plaies de guerre, un centre de soins mobile, constitué de 3 à 4 camions transportant 4 équipes chirurgicales, 4 tables d’opération et du matériel de radiologie ; cette structure “autochirugicale”, permettait d’opérer jusqu’à 60 blessés par jour au plus près du front.

Elle présida après la guerre l’Œuvre dite des bons-enfants (protection des veuves et orphelins de la guerre 14-18). Elle fut faite Officier de la Légion d’Honneur.

 

La reine Elisabeth, fille du grand ophtalmologue, Théodore de Wittelsbach, duc en Bavière, et de Marie-Josèphe de Bragance, infante du Portugal, est la nièce de l’impératrice Elisabeth, cousine germaine de l’impératrice Zita mais surtout épouse d’Albert Ier, roi des Belges, « le roi-soldat », avec lequel elle constitua un couple remarquable. Elle fut aussi surnommée « la reine-infirmière ».

L’action des souverains pendant la Première Guerre Mondiale leur vaut une admiration justifiée.

Si elle ne travailla pas tous les jours comme infirmière, comme le dit la légende, elle ne fut pas moins active dans les soins donnés aux blessés et un réconfort par son soutien moral constant. Elle servit aussi d’agent de liaison entre son époux et le gouvernement britannique.

Née le 25 juillet 1876 à Possenhofen, elle est donc une princesse allemande. Mais horrifiée par l’attitude des armées de Guillaume II avec le consentement de ce dernier, elle prononça les mots célèbres « Entre eux et moi, un rideau de fer est tombé ». Expression désormais utilisée mondialement.

Elle est morte à Laeken, le 23 novembre 1965. Avec ses idées sociales avancées, sa grande liberté d’esprit, son amour et sa pratique de musique, la reine Elisabeth est un des personnages féminins le plus remarquable dans le cercle des familles royales.

La liste de ces grandes dames qui toutes participèrent directement à l’effort de guerre, engagées dans la lutte contre la barbarie des armées impériales allemandes, est longue et ne saurait être contenue à ces quelques noms.

La lecture de l’ouvrage permettra à ceux que cela intéresse d’en savoir plus sur elles. (Un grand merci à Patrick Germain pour cet article)

« Les oubliées de la victoire. Les femmes dans la guerre de 1914. », Martine Gasquet, Editions Giletta, 2015, 240 p.