Le prince Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897) est le 9ème enfant et 5ème fils de Louis-Philippe, roi des Français. Il est le frère de Louise Marie, première reine des Belges et le filleul du prince Louis-Henri-Joseph de Bourbon-Condé qui sans héritiers directs, lui transmet son immense fortune à savoir en 1830 plus de 66 millions de francs or et des domaines dont celui du château de Chantilly.

Brillant général et vainqueur d’Abd-el Kader en Algérie en 1843, le prince épouse en 1844 à Naples sa cousine germaine la princesse Marie Caroline de Bourbon-Deux-Siciles. Le couple aura 7 enfants qui décèderont tous soit bébés soit avant leur majorité. C’est le grand drame du duc et de la duchesse d’Aumale.

Après son mariage, le duc avait entrepris le vaste chantier des appartements privés de Chantilly.Les appartements sont situés au rez-de-chaussée du Petit Château, entre cour et étang, qu’Henri d’Orléans, duc d’Aumale, héritier du dernier prince de Condé, confie au soin de l’architecte Victor Dubois et du décorateur Eugène Lami qui eut les mains libres pour faire œuvre totale et contrôler attentivement chaque étape, avec l’aide du tapissier Alexis Ternisien.

Aïeul des grands décorateurs qui ont modelé de leur goût et de leur art les intérieurs des commanditaires fortunés des XIXe et XXe siècles, Eugène Lami a livré à Chantilly l’un de ses premiers projets d’aménagement intérieur, et non des moindres.

Ce peintre de formation, formé auprès d’Horace Vernet et de Gros, passé maître dans l’art de l’aquarelle, avait fait le voyage d’Outre-Manche où il avait pu être impressionné par les demeures cossues de la campagne anglaise.

Employé par Louis-Philippe comme peintre d’histoire pour Versailles, puis nommé maître de dessin du duc de Nemours, frère du duc d’Aumale, il se lia aux princes de la famille d’Orléans et aménagea leurs appartements au palais des Tuileries. Son goût rencontra celui des princes, notamment celui du duc d’Orléans, dont le mécénat et l’appétence pour le bel objet d’art n’est plus à démontrer. Aux Tuileries se mit en place une formule reprise ensuite à Chantilly : remploi de meubles et d’objets d’art anciens, création de pièces d’ébénisterie et de menuiserie de style, goût pour le mobilier Boulle et les riches tentures de damas ou de velours colorés, le tout s’intégrant à la recherche d’un confort nouveau.

Mais, au lieu de puiser dans le Garde Meuble royal, Lami china pour le duc d’Aumale à Paris, auprès des marchands de curiosités les plus fameux du temps (Beurdeley, Henri, Escudier, Gansberg), ou employa des œuvres provenant de l’héritage des princes de Condé. Chaque pièce fut soigneusement sélectionnée par le décorateur, en lien constant avec le duc, et se voyait placer dans des ensembles où mobilier et décor entraient en cohérence. D’autres furent spécialement dessinées et réalisées par les artisans parisiens à la mode (notamment les frères Guillaume et Jean-Michel Grohé).

Le duc d’Aumale et Eugène Lami ont imaginé une œuvre d’art totale, où chaque objet et chaque pièce de mobilier a été soigneusement choisi, en adéquation avec les décors créés, le tout au sein d’une distribution repensée, partagée en deux appartements symétriques.

La chambre de la duchesse est d’un extrême raffinement. On remarque ses initiales (M-C-A pour Marie-Caroline-Augusta) sur la tête de lit, le plafond peint par Narcisse Diaz (1845) et le trumeau de cheminée. La place de son lit à baldaquin s’y trouve théâtralisée, sous des corniches et une multitude d’ornements dorés où les brunis jouent à nouveau avec les mats.

Les tentures et les garnitures en satin bleu clair avaient remplacé, au retour en France du duc, le damas de soie fond rose à dessins blancs initial. La préciosité est ici maîtresse : les meubles de Grohé sont faits de bois de rose sur lequel se détachent des marqueteries de fleurs en bois de bout et des plaques de porcelaine peintes de bouquet de fleurs.

Le cabinet de toilette de la duchesse et les appartements privés se caractérisaient déjà à l’époque par leur modernité et leur confort (chauffage central et éclairage au gaz installés après le retour d’exil du duc, eau courante, water closets).

A la chute de la monarchie de Juillet, le duc et la duchesse s’exilent à Twickenham en Angleterre. C’est là que la duchesse décède en 1869.

A son retour d’exil, le duc, grand collectionneur, bibliophile et esthète, remet le mobilier tel qu’il était auparavant. Il appelait cela son « cimetière ». Les appartements restèrent à jamais les témoins des moments heureux et malheureux du couple.

Sans enfant, le duc d’Aumale légua le domaine de Chantilly et ses collections à l’Institut de France à la condition que le musée Condé soit accessible au public.

La réouverture le 23 février prochain des appartements privés après restauration est un grand événement pour Chantilly et le fruit d’un long travail mais aussi de l’importance du mécénat.

Le coût total du chantier incluant la restauration du Cabinet d’arts graphiques (ouvert depuis 2017) est de plus de 2,5 millions € financés à hauteur de 1,6 millions € par l’Institut de France et de 975.058 € par le Ministère de la Culture. Les Amis du Musée Condé (parmi lesquels on retrouve le prince Amin Aga Khan et Annette de la Renta, veuve du couturier Oscar de la Renta) ont quant à eux financé la restauration d’un berceau offert par Madame de Vatry pour la naissance du prince François (1854-1872) en 1854. Ce berceau vide fut placé dans la chambre de la duchesse (alors décédée) par le duc en signe de leur douleur d’avoir perdu leurs 7 enfants. (Copyright photos : Heymann Renoult – Sources : Domaine de Chantilly)

Domaine de Chantilly – 7, Rue du Connétable – 60500 Chantilly – Picardie- France