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Jonathan Raphaël Bischoffsheim avait une fille, Clara, née le 13 juin 1833 qui reçut une éducation extrêmement soignée. Elle parlait quatre langues, l’allemand, sa langue de prédilection, le français, l’italien et l’anglais. Son éducation poussée jusqu’au baccalauréat, fut très austère car Jonathan Raphaël Bischoffsheim tenait à une grande simplicité dans la vie quotidienne et une grande austérité de moeurs. Clara (ci-dessus) comme les jeunes princesses de Bourbon de Parme, Zita et ses soeurs, apprit à faire le ménage. Sa mère Henriette Goldschmidt, élevée dans le ghetto de Francfort, en était resté marquée. Elle transmet à sa fille Clara le respect et le soin des pauvres.

Clara, jeune fille d’apparence froide et distante de par son éducation, était en réalité une jeune fille ouverte aux autres et chaleureuse. Dans cette atmosphère familiale où tout semblait compté, l’argent devait servir à continuer de s’enrichir mais aussi à aider ceux qui n’avaient pas eu la chance des Bischoffsheim et Goldschmidt, de pouvoir sortir du ghetto et faire leur place dans la société européenne internationale.

Clara était, malgré tout, une héritière. Son père lui destinait une dot de 30 millions de Francs-or (environs 92 millions d’’euros). Pour comprendre les engagement ultérieurs de Clara, il faut avoir à l’idée qu’elle s’est toujours sentie coupable de l’opulence réelle de sa famille, alors que l’immense majorité de ses coreligionnaires croupissaient dans la peur et la misère. Son père la tenait au courant de ses affaires et Clara n’ignorait des subtilités de la spéculation financière.

Maurice de Hirsch avait aperçu Clara lors de son premier séjour à Bruxelles mais il ne se rendit vraiment compte de son existence qu’un fois établi dans la capitale belge. Maurice était considéré comme bel homme, et savait jouir des avantages de sa personne. Clara n’était pas considérée comme une beauté. Une jeune fille somme toute assez fade tels que beaucoup de portraits du XIXe siècle nous les montrent. Une journaliste autrichienne qui la rencontra à la fin de sa vie en fit le portrait suivant : “ Ce qui frappait le plus dans ce nuage de camée, c’étaient les yeux, les yeux aux pupilles étonnamment claires qui me retinrent figée sur le moment…Son regard était si perçant qu’on avait le sentiment qu’ils transperçaient leur vis-à-vis jusqu’au fond du coeur, amis leur expression était si douce que l’on était tout de suite en confiance car on se sentait être en face d’une personne hors du commun”

Maurice était ainsi décrit par son neveu Karl de Hirsch : “ de stature moyenne, svelte, avec une allure assez sportive…extraordinairement vif…formidable travailleur…qui trouvait toujours le temps de profiter de la vie et de la compagnie des femmes à qui il plaisait énormément.”

 

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Maurice de Hirsch

Maurice le séducteur fut séduit par cette jeune fille sérieuse, plus passionnée par la finance et les affaires, plus attentive aux autres, que les autres jeunes filles du même milieu. Il décela en elle une âme soeur avec qui il pourrait partager ses intérêts. La dot de Clara ne fut peut-être pas non plus étrangère à son attrait. Et on peut le comprendre.

Mais si sa demande en mariage fut acceptée par la jeune fille, elle fut refusée catégoriquement par Jonathan Raphaël Bischoffsheim. Maurice, bien que moins riche, n’était pas un parti négligeable, car seul héritier de la fortune de son père. Mais le père se méfiait peut-être de ce jeune homme aux spéculations impulsives, réussies certes mais…Il souhaitait peut-être marier Clara au fils de son frère, le 30 millions de dot restant à l’intérieur du cercle familial. La pratique était courante et ne choquait personne à l’époque.

Maurice quitta Bruxelles sur ce refus et partit pour Munich. Il ne se laissa pas décourager, Clara non plus car ils étaient bien amoureux l’un de l’autre. Maurice, jamais à court d’idée, postula alors pour être consul de Belgique à Munich. Il l’obtint sur la recommandation de ministre des Affaires étrangères de Bavière qui dit : “ Son père, chef de la principale maison de banque de la ville est détenteur d’une fortune considérable. Le postulant, qui professe la religion israélite, est un homme aux formes agréable qui malgré son jeune âge, est rompu aux affaires…”

Le 15 décembre 1853, Maurice de Hirsch auf Gereuth est nommé consul de Belgique à Munich. C’est un poste essentiellement honorifique. Il ne l’occupa que pendant deux ans, avec conscience, donnant satisfaction à tous. C’était une fonction prestigieuse qui lui procurait une véritable assise sociale mais qui lui permit aussi de tisser des liens forts et étroits avec les milieux diplomatiques européens. Et grand avantage, le père de Clara commença à le regarder autrement car chacun s’ingéniait à reconnaître ses qualités, notamment à former des partenariats entre industriels belges et bavarois.

Ayant par hasard entendu Jonathan Raphaël Bischoffsheim évoquer un problème d’ordre financier, Maurice lui suggéra la solution qu’il adopta à son plus grand avantage. Le banquier en conçut une réelle admiration pour celui qu’il acceptait désormais comme son futur gendre.

Une anecdote amusante lors de la présentation de Clara à ses futurs beaux-parents montre le bon caractère de la jeune fille. En effet, elle entra dans le salon en compagnie de sa soeur, Régina, une beauté sculpturale et Joseph de Hirsch fut dépité de voir que son fils avait choisi la moins belle des deux soeurs. Clara qui s’en aperçut, s’en amusa et conquit le coeur de son beau-père lorsque, en ouvrant le cadeau qu’il lui avait apporté, elle le fit avec soin et mit de côté ficelle et papier. Joseph comprit alors que sa future belle-fille était digne d’entrer dans une famille, où malgré la richesse, rien était jeté car cela pouvait servir encore. En réalité, la vie de cette société riche à millions, était simple dans son quotidien, même si le train de vie ne l’était pas avec tous ces châteaux et demeures pour lesquels il fallait des dizaines de domestiques. Mais là aussi, c’était une façon de redistribuer la richesse.

Le 26 juin 1855, le mariage fut célébré à Bruxelles avec faste. Deux buffets, dont l’un kasher, devait satisfaire les religions de tous les invités présents. Après leur voyage de noces à Paris et sur les bords du Rhin, le jeune couple rejoignit Munich où Maurice devait reprendre les affaires familiales. Joseph, son père, n’avait qu’un désir se retirer sur ses terres de Planegg.

Mais le quotidien de la banque munichoise ne le satisfaisait pas. Il tenta de prendre des participations dans les chemins de fer, se lança dans l’investissement à son compte et échoua, écornant ainsi la dot de sa femme. Sa réputation de financier de génie en prit un coup. La Bavière et Munich n’étaient pas pour lui. Clara ne se plaisait pas à Munich, Bruxelles et sa famille lui manquaient. Un garçon venait de naître au foyer, Lucien, le 11 juillet 1856. Le couple décida de quitter Munich et de s’installer à Bruxelles. Son beau-père l’accueillit dans sa banque, comme collaborateur d’abord, puis comme associé. Et Maurice demanda la nationalité belge afin de faciliter son intégration dans son nouveau pays. Le couple y restera jusqu’en 1868.

Mais même dans la haute banque juive, les choses n’étaient pas simples. Jonathan Raphaël Bischoffsheim, en 1856, connut de graves difficultés dans l’échec du lancement d’une société de crédit immobilier, en association avec un autre banquier Joseph Oppenheim, avec lequel il se fâcha à cette occasion.

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Joseph Oppenheim ( 1817-1876)            

Sa fille Marie Oppenheim sembla se venger de cet échec en décrivant le couple formé par Maurice et Clara comme des snobs impénitents. S’il y a l’expression d’un sentiment de jalousie de la part de Marie Oppenheim, devant l’amour du couple qui confond la société, il y a aussi du vrai. Marie Oppenheim épousera le banquier Giacomo Errera.

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Marie Oppenheim-Errera

Maurice et Clara de Hirsch aiment les titres et les blasons. Ils aiment aussi fréquenter les grand noms du Gotha. Ils sont reçus à la cour et selon Marie Oppenheim n’hésitent pas à apposer leur blason partout où ils le peuvent, vaisselle, argenterie, voitures, bagages, portes cochères. C’est vrai, ils sont snobs et en s’en cachent pas. Mais cela ne peut faire oublier que leur richesse sert aussi à aider les autres. Après s’être lassée des voyages avec son mari, un peu partout en Europe, et après avoir constaté que Maurice n’est pas un modèle de fidélité, Clara s’investit dans des oeuvres philanthropiques.

Elle commença à s’occuper de la société de bienfaisance fondée par son père la “Fondation Bischoffheim”  qui a pour vocation d’offrir une dot à des jeunes filles juives pauvres ou orphelines. Elle créa une société de prêts sans intérêts destinée à venir en aide aux personnes en difficultés financière temporaires, dans le cadre de leurs activités professionnelles. Les aides accordées étaient remboursable à raison d’un centième par semaine. Elle s’occupa également de la “Société des mères israélites” dont le but était d’assister médicalement et matériellement les jeunes mères juives indigentes mais aussi de loger des orphelines. Pour quelques famille israélites fortunées un peu partout en Europe, c’étaient des centaines de milliers de Juifs dans la misère. Et la générosité du couple était sans limite. Nul ne faisait en vain appel à eux.

Mais Bruxelles commençait à être un peu étroite pour le couple. En 1866, ils partent s’installer à Paris pour y diriger la filiale parisienne de “Bischoffsheim, Goldschmidt & Cie”. On ne sait pas trop si Maurice a été associé directement aux affaires de son beau-père, qui avait encore quelques méfiances devant le côté aventurier de son gendre. En 1855, toutefois Bischoffsheim, Goldschmidt & Cie et la banque Joseph de Hirsch de Munich sont actionnaires de la Bayerische Ostbahn Aktiengesellshaft, société par action des chemins de fer de l’est de la Bavière. Maurice commence à y déployer son vrai talent. En 1858, il dépose les statuts de la banque d’affaires “Maurice de Hirsch”. En 1860, il prend la concession des chemins de fer russes de Moscou à Riazan. Ce fut la première ligne qu’il bâtit avant de devenir  le constructeur de la quasi totalité du réseau ferroviaire russe.

A 27 ans, associé à son beau-frère Ferdinand Bischoffsheim, il ouvre la banque  Bischoffsheim-de Hirsch. En 1870, il transfère le siège de la banque à Paris où elle fusionna avec la Banque de Dépôts et des Pays-Bas, qui deviendra plus tard la Banque de Paris et des Pays-Bas, puis enfin Paribas, le nom sous lequel la banque est connue aujourd’hui.

 

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Banque de Paris et des Pays-Bas

Entre 1866 et 1867, il réussit un des coups spéculatifs les plus remarquables, affaire dite du “Guillaume-Luxembourg”. Le Luxembourg étant un carrefour pour les liaisons ferroviaires entre la France, la Belgique et l’Allemagne on y créa un réseau de voies ferrées, sous le nom de “Guillaume-Luxembourg” utile au développement de la sidérurgie dans cette partie de l’Europe. L’exploitation de ce réseau fut confiée à quatre sociétés, une française, une belge, une luxembourgeoise et une prussienne. Mais jugeant cette exploitation peu rentable la société française menaçait de ne pas renouveler son contrat d’exploitation, menaçant directement les intérêts de la société mère “Guillaume-Luxembourg”, propriétaire du réseau. Bien entendu, derrière toutes ces tractations, on pouvait voir l’ombre de Napoléon III et de Bismarck.

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Siège de la Société “Guillaume-Luxembourg”

Quatre kilomètres de raccordement de voie ferrées manquaient et les industriels belges proposèrent de les construire. ou à défaut de construire un chemin fer de ceinture liant directement la Belgique à l’Allemagne. Le gouvernement luxembourgeois refusa l’autorisation car il était soucieux de préserver son monopole sur son territoire. Les Belges cherchèrent alors un financier capable de les aider à récolter les fonds nécessaires et ils firent appel à Maurice de Hirsch, qui ne se fit pas prier pour accepter, et ce d’autant moins que la banque Bischoffsheim – de Hirsch possédait un paquets d’actions considérable du “Guillaume-Luxembourg”.

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Tracé du Guillaume-Luxembourg

Maurice sut alors jouer habilement Bismarck contre Napoléon III et vice-versa, en leur faisant miroiter à chacun des avantages qu’il y aurait à signer le contrat de construction de la ligne. Il se rendit à Berlin pour rencontrer le chancelier allemand qui donna son aval au rachat du “Guillaume-Luxembourg”. Muni de cette certitude, il alla voir le gouvernement de Napoléon III pour lui faire comprendre quelles seraient les conséquences désastreuses pour la France si la Prusse devenait maîtresse du jeu. Les Français comprirent tout de suite qu’il ne leur fallait pas se retirer de l’exploitation de ligne mais au contraire investir plus.

Maurice de Hirsch obtint ainsi du gouvernement français “la garantie d’un revenu annuel de trois millions de francs-or à verser par la Compagnie des Chemins de Fer Français de l’Est au Guillaume-Luxembourg, avec comme contrepartie la cession de la gestion et de l’exploitation de son réseau”. Il s’était joué de Bismarck qui ne lui pardonnera jamais. Mais il s’enrichit d’une façon considérable car les actions du “Guillaume-Luxembourg” montèrent en flèche après la signature de la convention le 21 janvier 1868. Peu de temps après, il revendit en bloc toutes ses actions avec une plus-value considérable, se débarrassant ainsi d’une société qui en réalité ne valait pas grand-chose. Le succès de Maurice dans la société financière de l’époque fut considérable car chacun applaudit au génie, sans trop se soucier de ce qu’il pouvait y avoir d’immoral. Il passait pour un Crésus.

 

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Action du Guillaume-Luxembourg

En 1858, Maurice de Hirsch s’associe avec un des personnages les plus troublants de la haute finance belge au XIXe siècle, André Langrand-Dumonceau, dont l’idée était d’ “appeler les capitaux au baptême pour les christianiser”, en clair de travailler avec la haute banque israélite en lui associant les économies de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie catholique européenne.

André Langrand-Dumonceau était un enfant de l’assistance publique élevé par une famille pauvre flamande, plein d’idées, de charisme et d’enthousiasme, et qui à 22 ans créait sa première compagnie d’assurance “Les Rentiers réunis” et deux ans après la “Royale Belge”, société d’assurance sur la vie. Il bénéficiait de la protection de l’aide active d’Edmond Mercier, un ancien ministre belge des finances, à la réputation d’une extrême compétence en matière financière.

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André Langrand-Dumonceaux (1826-1900)

Mercier, de par ses fonctions, avait des contacts dans la haute société belge et européenne. Les idées de Langrand-Dumonceau, et il n’en était pas à court, firent de lui un homme très riche, rapidement. Mercier insiste sur la nécessité d’avoir un Crésus avec eux et en 1858, ce Crésus fut Maurice de Hirsch, avec sa fortune et son milieu juif d’affaires. L’association dura quatre ans et enrichit considérablement les partenaires par des opérations, souvent à la limite de l’illégalité.

Mercier introduisit des partenaires, ses compères pourrait-on dire, dans les sociétés autrichiennes, italiennes et espagnoles, avec lesquelles Maurice n’ait que très peu de contacts. En Autriche, ils furent introduits auprès du ministre des finances, le baron de Bruck, auxquels ils firent miroiter l’afflux de capitaux prêts à s’investir dans une économie autrichienne qui faisait son entrée dans le monde capitaliste. Bruck les autorisa à fonder en 1857 une compagnie d’assurance sur la vie “l’Anker » ( l’ancre), dont les principaux partenaires étaient belges. Hirsch et cie possède 172 actions sur 500. La banque de Bruxelles sert alors à spéculer sur les actions de l’Anker, en jouant tant à la hausse et tantôt à la baisse, ramassant au passage d’énormes bénéfices. Aujourd’hui on qualifierait cela de délit d’initiés.

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Baron de Bruck (1798-1860)

En 1859, les deux complices créent à Vienne la “Vindobona” une société d’assurances hypothécaires. L’aristocratie autrichienne est criblée de dettes mais possède des terres immenses. Au lieu de l’usurier traditionnel , c’est à La Vindobona qu’elle pourra faire appel pour se financer en donnant ses biens en garanties auprès d’une compagnie qui a les faveurs et le soutien du gouvernement. En donnant l’autorisation de créer la Vindobona, on oublie de vérifier les comptes de sa société mère “L’Anker”.

Toujours en 1859, Langrand-Dumonceau, Mercier et Hirsch créent à Bruxelles l’Association Générale d’Assurances, une sorte de holding qui permet de créer de multiples société d’assurances en Europe et de faciliter les échanges de titres entre elles. Elle apparait comme une sorte de société mutualiste destinée à rassurer les petits porteurs en les protégeant contre les risques de mauvais placements. En réalité, elle est destinée à permettre à Langrand-Dumonceau et à Hirsch de spéculer et de s’enrichir, en jouant sur la valeur des titres acquis pour rien. On promet aux actionnaires des rendements de l’ordre de 15 à 25%.

Les deux principaux associés font acheter par l’Association Générale d’Assurances les titres de la Vindobona, et empochent un gros bénéfice au passage. Mais le problème est que la capital de la Vindobona, de vingt millions de francs, est loin d’être couvert. Il y a seulement quatre millions en caisse souscrits par Raphaël Jonathan Bischoffheim, Maurice de Hirsch et Maurice Bamberger pour la banque Bischoffheim-Goldschmidt et Cie d’Anvers, soit le clan des banquiers juifs d’un côté, et de l’autre, Langrand-Dumonceau, Mercier et quelques noms de la société catholique.

En 1860, soit après un an d’exercice, l’Association est incapable de tenir ses promesses de dividendes. Toutes ces sociétés imbriquées les unes dans les autres ont du mal à se maintenir à flot et ce d’autant moins que Langrand-Dumonceau veut continuer la pratique de revendre ses actions avant même leur émission officielle et se distribuer un bénéficie de 30% alors que les statuts de la Vindobona ne sont pas encore officiels. En clair, il émet des actions que des tiers lui achètent et s’attribue le prix de vente comme un bénéfice. Lors de la première assemblée générale de l’Association, Langrand-Dumonceau et Hirsch refusent  de montrer les comptes à la fureur des actionnaires, qui alertent la presse et les commissions officielles de contrôle et d’enquête.

Hirsch comprend alors le danger de la situation et écrit à Langrand-Dumonceau, qui est à Vienne où il mène grand train : “ Je me permets de vous répéter que vous devez arrêter autant que faire se peut des dépenses de tout genre et spécialement en frais généraux. Vous dépensez le capital de vos actionnaires, c’est un intérêt trop puissant pour ne pas appeler toute votre sollicitude.” On ne pouvait être plus clair.

Langrand-Dumonceau n’écoute pas Hirsch ni Mercier et continue à mener grand train et à verser des pots-de-vin. On compte parmi ses bénéficiaires des fonctionnaires, des politiciens, mais aussi des princes, des archiducs, des rois et l’empereur. Tout ce beau monde, y compris les banquiers juifs, finit par démissionner du conseil d’administration de la Vindobona, semant la panique parmi les petits porteurs.

Maurice de Hirsch demande alors conseil à son beau-père, Jonathan Bischoffheim, qui lui est resté dans son activité traditionnelle de banque et sur le point de lancer plusieurs sociétés anonymes de crédit. Jonathan se méfiant de Langrand-Dumonceau, refuse son concours et conseille à son gendre de se retirer.

Il souhaite suivre ce conseil mais n’est pas certain des conséquences judiciaires de toute l’affaire. Il essaie de négocier avec Langrand-Dumonceau et Mercier  une sortie qui permettrait de liquider les pertes de la Vindobona, les deux refusent car ils soupçonnent Maurice de vouloir limiter ses propres pertes. En réalité, Maurice a compris le guêpier d’illégalité dans lequel il s’est fourré et veut s’en sortir la tête haute avec le moins de dégâts possible pour tout le monde.

La rupture est consommée. Maurice ne fait plus partie de leur association.

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 Baron Ignace de Plener (1810-1908)

En 1862, le nouveau ministre des Finances autrichien, le baron Ignace de Plener ordonne une enquête sur “ l’Anker” qui n’aboutira pas tout de suite au vu des hautes relations de Langrand-Dumonceau. En 1865 André Langrand-Dumonceau est même fait comte romain par le pape Pie IX.

Mais si Maurice s’est éloigné de lui, il conservera quelques attaches qui l’emmèneront à l’aider à sortir de situations financières délicates. La morale que Maurice put retenir de cette affaire est que lorsqu’on est banquier juif, il vaut mieux être honnête car sa judéité lui a été jetée plusieurs fois à la tête par ses anciens associés au moment de leur rupture. (Merci à Patrick Germain pour cette deuxième partie)