Gaète à l’époque

Le règne très bref du dernier roi des Deux-Siciles n’aurait laissé qu’un souvenir amer s’il n’y avait eu la résistance héroïque des dernières troupes royales menée par la reine elle-même.

Gaète aujourd’hui

Marie Sophie trouva sur ce petit éperon rocheux son heure de gloire et sauva l’honneur de son mari. Elle avait avec ses dix-neuf ans la tête remplie de rêves et d’actions romantiques. Ces quelques mois lui donnèrent enfin l’occasion de les vivre. Sa soeur l’impératrice d’Autriche traînait déjà sa neurasthénie un peu partout en Europe mais son mari était à la tête d’un empire encore formidable.

Elisabeth d’Autriche en 1860

Marie Sophie n’était presque plus rien, et son mari François encore moins. Mais ils allaient lutter avec l’énergie du désespoir pour continuer à exister. Leur couple, si désassorti, trouva aussi une raison d’être dans la défense de leurs droits souverains. Elle s’était mariée pour être reine des Deux-Siciles et elle comptait bien le rester.

Marie Sophie en tenue de combat

Dans la citadelle de Gaète s’élevant à 167 mètres au-dessus du niveau de la mer, vivaient environ douze mille hommes de troupe, neuf cents officiers et trois mille civils, les habitants du lieu. Ils disposaient de cinq cents bouches à feu, dont seuls trois cents étaient réellement efficientes. Il y avait aussi plus de mille chevaux qui allaient rapidement se révéler un problème de plus.

L’artillerie bourbonienne

Les assiégeants, sous le commandement du général Cialdini (1811-1892), étaient plus de quinze mille hommes avec à leur tête, huit cents officiers, avec seulement cent soixante canons, mais plus modernes et donc plus efficaces que ceux des assiégés.

Général Cialdini

Les tentatives de la diplomatie française pour mettre fin à la crise, inspirées par l’impératrice Eugénie, furent vaines.  Cavour essaya d’acheter François II en lui faisant offrir autant d’argent qu’il le désirait pour capituler sans combattre. François et Marie Sophie étaient à court d’argent, leurs avoirs étant restés à Naples, saisis par Garibaldi, mais pas d’honneur.

La reine douairière Marie-Thérèse, qui avec ses enfants était déjà à Gaète quand ils arrivèrent, quitta la première la citadelle, avant que le piège ne se referme. Elle fut accompagnée par tout le corps diplomatique encore présent auprès des souverains. Seuls restèrent, l’ambassadeur d’Espagne, Bermudez de Castro, toujours fidèle, et l’attaché militaire de Bavière, la patrie d’origine de la reine.

Marie Sophie fut présente partout. Sur tous les postes, même les plus avancés, elle allait visiter la troupe. François l’accompagnait certes, mais c’était d’elle que les soldats tenaient leur esprit de résistance. Elle avait revêtu une tenue qui restera célèbre.

François et Marie Sophie visitant une défense

Début novembre 1860, les bombardement s’intensifièrent au point que la résidence royale était devenue peu sûre. Les souverains s’installèrent alors dans une simple casemate dans la batterie Saint Ferdinand, qui en comportait que trois pièces. Et c’est là que probablement ils vécurent leurs seuls moments de vrai couple.

François visitant une défense

Napoléon III essaya encore de les aider en offrant à la reine de quitter la citadelle. Tout fut en vain. Ils préféraient se voir ensevelis sous les ruines de Gaète que se rendre et perdre ainsi les restes de leur dignité.

L’amiral français Le Barbier de Tinan était avec son escadre en face de la ville et empêchait son blocus maritime.

Amiral Le Barbier de Tinan à l’époque du siège

Mais de jour en jour les conditions d’hygiène se faisaient pire, provocant une épidémie de typhus qui causa plus de morts que les bombardements, morts que l’on ne savait où enterrer car le cimetière était hors des murs. La reine toujours sur les remparts n’hésitait pas à pointer les canons contre les troupes ennemis.

François, des son côté, espérait toujours de l’aide de la part des souverains d’Europe qu’il pensait être du côté de la légitimité. Il adressa un message plein de dignité aux populations de son royaume : « Trahis, dépouillés de tout, nous réussirons ensemble à surmonter notre disgrâce car les occupations ne sont pas éternelles…Quand je vois mes sujets tant aimés être la proie des maux de l’anarchie et de la domination étrangère, mon coeur de napolitain bat d’indignation…Moi, je suis napolitain, né au milieu de vous, je n’ai respiré d’autre air, je n’ai vu d’autres pays, je ne connais qu’un seul sol, celui de ma patrie. Toutes mes affections sont dans ce royaume, vos coutumes sont mes coutumes, votre langue est ma langue…J’ai  empêché mes généraux de détruire Palerme. J’ai préféré abandonner Naples, ma maison, ma capitale bien aimée pour ne pas l’exposer aux horreurs d’un bombardement…De bonne foi, j’ai cru que le roi de Piémont qui se disait mon frère et ami, qui protestait contre les agissements de Garibaldi, qui négociait avec moi une alliance conforme aux intérêts vrais de l’Italie, ne violerait pas toutes les lois pour envahir mes états en pleine paix, sans raison et sans déclaration de guerre…Ce ne sont pas mes sujets qui ont combattu contre moi, ce ne sont pas des discordes internes qui m’arrachent mon royaume; je suis victime de la plus injuste des invasions étrangères… Naples et Palerme sont gouvernées par des préfets venus de Turin… ».

Ces paroles furent vaines car le destin du Royaume des Deux-Siciles avait été scellé, non par le peuple lui-même, comme le faisait remarquer le roi, mais une puissance étrangère avide de dominer toute la péninsule.

Le jour de Noël 1860 fut un des plus terribles du siège. Plus de cent cinquante bombes tombèrent sur la ville causant des morts parmi les civils.

Le 1er janvier 1861, François et Marie Sophie présidèrent la cérémonie du baise-main, recevant ainsi l’hommage des derniers courtisans restés avec eux.

Cavour insista auprès de Napoléon III pour qu’il retire l’escadre qui fournissait à la citadelle une ouverture sur la mer. Ce dernier, sous la pression de la Prusse, de l’Autriche et de la Russie, toutefois toutes championnes de la monarchie légitime et absolue, finit par céder. L’Amiral de Tinan, la mort dans l’âme, retira ses navires. Il apporta à la reine une lettre de l’impératrice Eugénie lui disant que la frégate « La Mouette »  resterait à proximité, pour aider les souverains s’il se décidaient à quitter Gaète.

Caricature de Napoléon III arbitre impuissant

Napoléon III écrivit à François, en déplorant le retrait de sa flotte, laissant ainsi la mer libre à ses ennemis : « Votre Majesté sait bien que les rois qui partent retrouvent difficilement leur trône sans un rayon de gloire militaire ne dore pas leur aventure et leur chute. »

A peine les eaux libres, l’amiral Persano occupa le golfe aves ses frégates. Gaète était désormais isolée du monde.

Amiral Persano (1806-1883)

Le 21 janvier fut célébrée la messe à la mémoire de Louis XVI. Le 22, comme dans un défi lancé à l’escadre piémontaise, sous le feu de ses canons, soldats et marins napolitains défilèrent musique en tête, en criant : « Vive le roi ! Vive la reine! » Les souverains étaient au milieu d’eux. Ils se mirent à danser et à boire à la victoire sur le port. Quand une bombe tirée par les Piémontais tomba dans l’eau éclaboussant Marie Sophie, elle s’écria : « Courage les enfants. C’est le baptême de la victoire. »

Le bombardement continua sans arrêt jusqu’à la fin janvier, au rythme de cinq cents bombes par jour.

Bombardement de Gaète par la flotte piémontaise de l’amiral Persano

Certains dans la citadelle trahirent les leurs et livrèrent au général Cialdini les plans de défense. Le 5 février, sachant où étaient les dépôts de munitions, ils les bombardèrent. L’explosion fut immense. Plus de deux cents soldats et une centaine de civils perdirent la vie.

Explosion du dépôt de munitions

Les bombardements continuèrent plusieurs jours puis le général Cialdini offrit une trêve de quatre jours pour permettre de sortir les vivants des décombres. L’amiral Persano était opposé à cette trêve humanitaire disant «  si l’on veut prendre en compte le mot humanité, on ne fait pas la guerre. » Mais Cialdini, malgré tout, envoya des secours et permit l’évacuation des blessés. L’amiral comte Persano, devenu ministre de la marine italienne en 1862, puis commandant de la flotte italienne, fut jugé pour incapacité pour la défaite de la bataille navale de Lissa opposant la marine italienne à la marine autrichienne.

Le 9 février les bombardements reprirent. Tout s’effondrait autour des souverains.

Le 10 au soir, l’impératrice Eugénie fit à nouveau parvenir une lettre à Marie Sophie la mettant devant la réalité et lui conseillant d’accepter le  destin et de renoncer à une résistance sans espoir.

Ruines d’une batterie

Vue générale des ruines de la forteresse

Le commandant de Gaète, le général Ritucci, convoque le conseil de défense, auquel participent 31 officiers supérieurs et le 11 février 1861, le roi François II, afin d’épargner ses troupes, donne mandat au gouverneur de la place-forte de négocier la reddition de la forteresse de Gaète. Une poignée d’officiers siciliens, composée du général Antonelli, du brigadier Pasca et du lieutenant-colonel Delli Franci, se rendent à Mola di Gaeta par la mer pour négocier la reddition pendant deux jours.

Conseil de Guerre

François prononça alors pour la première fois le mot « capitulation ». Il lui apparaissait désormais comme monstrueux de continuer à sacrifier tant de vies. Ses généraux partagèrent son point de vue. Durant les premières tractations entre les deux camps, les bombardement continuèrent. Le 13 février un autre dépôt de munitions vola en éclats.

Explosion d’un autre dépôt de munition sous les yeux du général Cialdini

Le général Cialdini et les émissaires de François y assistèrent depuis le quartier général piémontais. Tous étaient émus aux larmes.

Avant la reddition vue du côté piémontais

Deux heures après la capitulation était signée. Les conditions en furent honorables. La garnison recevrait les honneurs militaires, les officiers seraient autorisés à garder leurs armes personnelles ainsi que leurs chevaux, les soldats recevraient deux mois de solde, leurs veuves et leurs orphelins recevraient une pension. François refusa toute compensation financière. Sa seule demande fut que la capitulation ne soit effective qu’après son départ de Gaète. Il était difficile d’être plus digne.

A 7 heures du matin le 14 février 1861, François II et Marie Sophie de Bourbon des Deux-Siciles quittèrent la casemate devenue leur demeure, suivis par les frères du roi, les comtes de Trani et de Caserte, puis les ministres, les généraux, les diplomates et les domestiques. Le roi était en tenue militaire simple, sans décoration, la reine était en tenue de voyage. Ils étaient pâles et pour la première fois des larmes brillaient dans leurs yeux.

Départ de Gaète

Il leur fallut longtemps pour rejoindre le port où les attendait la frégate « La Mouette ». La foule rompit le cordon militaire qui la séparait des souverains, pour baiser leurs mains. Tous pleuraient. François était livide et Marie Sophie pleurait et souriait à la fois.

L’émotion fut à son comble quand retentit pour la dernière fois l’hymne des Bourbons de Naples. A leur arrivée à bord, le drapeau des Bourbons fut hissé au grand mât à côté du drapeau français.

François et Marie Sophie sur le quai

Quand le bateau dépassa la pointe de Gaète pour la haute mer, il fut salué par vingt et un coups de canon, pendant le drapeau des Savoie était hissé sur la citadelle de Gaète.

François et Marie-Sophie avaient sauvé l’honneur de leur dynastie en se battant jusqu’au bout pour leur droit et celui de leur peuple. Désormais, l’antique royaume de Naples et de Sicile ne serait plus qu’une province italienne. (A suivre – Merci à Patrick Germain pour ce récit)

La nouvelle Italie ( en rose) après  la capitulation de Gaète