Ce fut lord Richard Seymour-Convay, 4ème marquis d’Hertford (1800-1870) (cf.illustration) qui en 1835, se porta alors acquéreur du château.

   

Lord Seymour était issu de la meilleure aristocratie britannique (cf. illustration) et descendait des ducs de Somerset.

Il avait été élevé à Paris où il avait déjà acquis, en 1829, un hôtel situé rue Laffitte. Imprégné qu’il était de culture française et nourrissant une passion profonde pour les arts décoratifs français, il ne pouvait manquer d’être séduit par ce pavillon témoignant de toute la grâce et l’élégance de là fin du XVIIIe.

Toutefois, ce n’est qu’à partir de 1848 qu’il allait s’installer essentiellement à Bagatelle comme le montre cette photo prise à Bagatelle en 1857 et sur laquelle figurent lord Seymour et son fils, le futur Richard Wallace (cf. illustration) .

Il y mena une vie brillante, recevant l’élite aristocratique, artistique et lettrée parisienne, côtoyant aussi bien le comte de Niewekerke, le baron de Rothschild, Gioacchino Rossini, que Napoléon III ou l’impératrice Eugénie qui viendra souvent à Bagatelle assister aux leçons d’équitation que prenait le prince impérial dans un manège tout proche.
Doté d’une fortune considérable, lord Seymour allait alors passer trente cinq ans à acheter de remarquables œuvres d’art à commencer par des toiles de grands maîtres du XVIIIe français tels que Watteau, Greuze ou cette Nymphe jouant de la flûte par François Boucher (cf. illustration).

Mais aussi de prestigieux meubles, pour la plupart estampillées de des grands ébénistes Gaudreaus, Riesener ou Leleu, provenant le plus souvent des appartements privés du roi Louis XV, de la reine Marie-Antoinette et des princes à Versailles tels que cette remarquable encoignure de Joubert ayant figuré dans la chambre du comte d’Artois (cf. illustration)

Ces exceptionnels ensembles décoratifs trouvèrent tout naturellement dans le pavillon de Bagatelle le parfait écrin qui leur convenait. Mais c’est, hélas, aussi le marquis de Hertford qui fit procéder à des modifications architecturales malheureuses qui allaient profondément dénaturer l’œuvre de Bélanger.

En 1850, cédant au goût de l’époque, il fit d’abord installer une imposante marquise devant l’entrée du pavillon, supprimant ainsi définitivement  l’ouverture cintrée qui surmontait la porte, comme le montre une photographie prise à l’époque (cf. illustration).

Puis, dans les années 1860, lord Seymour confia à son architecte, Léon De Sanges, un ambitieux projet qui consistait à surélever l’ensemble de la toiture du pavillon de manière à faire de l’attique, un étage spacieux. Cette lourde intervention transforma profondément l’allure du bâtiment par l’adjonction  de nombreux éléments décoratifs pastiches, la façade en rotonde sur les jardins étant alors coiffée d’un volumineux dôme ceinturé de balustrades et couronné d’une lourde ornementation de zinc (cf. illustration)

Puis en 1864, De Sanges édifia dans le parc de nouvelles écuries ainsi qu’un maison de jardinier (cf . illustration) dans un style rustique mêlant à la fois briques et pans de bois qui venait  alors d’être adopté par l’architecte Davioud pour les pavillons forestiers du bois de Boulogne.

En 1865, ce fut au tour d’une orangerie de facture classique (cf. illustration) d’être construite pour abriter l’importante collection d’arbres en pot du domaine.

Enfin, en 1871,  Seymour  opta curieusement un style néo-rocaille assez pompeux et peu en accord avec la facture néo-classique du domaine pour remplacer l’ancienne entrée du comte d’Artois. Une imposante grille d’honneur(cf. illustration) de fer forgé rehaussé de dorures  en hémicycle  ouvrant à deux entrées et flanquée d’un pavillon central à décor rococo fut alors édifiée.

Les salons de la demeure agrandie accueillirent alors les plus belles pièces de la collection  de lord Seymour dans ce décor opulent qu’affectionnaient les grands collectionneurs du second empire comme le montre cette photo datant de 1857(cf.illustration).

C’est là que l’on trouvait, entre autres, les panneaux de Lancret provenant du château de Marly, l’Escarpolette de Fragonard ou encore l’exceptionnelle commode que livra l’ébéniste Gaudreaus en 1739 pour la chambre de Louis XV à Versailles (cf. illustration)

C’est à Bagatelle, en 1870, que mourut le 4e marquis d’Hertford faisant du fils illégitime, Richard Jackson (cf. illustration), qu’il avait eu d’une longue liaison avec Mrs Alice Jackson, née Wallace, le légataire universel de ses biens tant à Paris qu’à Londres.

Richard Jackson, qui prendra par la suite le nom de Richard Wallace, était né à Londres le 26 juillet 1818 et  avait été élevé dès l’âge de 6 ans  à Bagatelle auprès de son père et de sa grand-mère. Héritier en 1870  de l’immense fortune, estimée alors à quelque 60 millions de francs, que lui laissa son père, Richard Wallace, à la fois francophile et philanthrope, se préoccupa alors de venir en aide aux Parisiens, éprouvés par l’occupation prussienne,  par la création d’ambulances militaires, l’accueil des victimes de bombardements et la construction, en 1872, d’un hôpital (toujours existant) à Levallois. Sa générosité lui valut d’être anobli par la reine Victoria en 1871 (cf illustration).

Mais sir Richard Wallace restera surtout à la postérité pour les célèbres fontaines dont il équipa Paris à ses frais et qui portent toujours aujourd’hui  son nom. En effet, après le siège de Paris et la Commune, les réseaux d’acheminement des eaux avaient été très endommagés et l’eau était devenue un  produit cher. C’est à la fois pour venir en aide aux nombreux nécessiteux et les détourner de l’ivrognerie qu’il se décida à offrir  à la ville de Paris, en 1872,  40  fontaines d’eau qu’il voulut à la fois pratiques, visibles et esthétiques et qu’il fit placer dans toute la capitale (cf. illustration).

A la même époque, sir Wallace, continuant l’oeuvre de rénovation des bâtiments entreprise par son père et, jugeant trop vétuste le pavillon des pages, en ordonna la démolition faisant ainsi disparaître à jamais le subtil ordonnancement voulu par Bélanger. Pour le remplacer, il fit édifier par De Sanges, à angle droit de l’ancien bâtiment, une imposante construction destinée à  permettre une extension des salons afin de mieux présenter  ses collections et qui prendra le nom de Trianon (cf. illustration) .

Mais, peu après, il quittait Bagatelle pour se fixer à Londres où il installa alors de nombreux chefs-d’œuvre de ses collections dans la résidence des marquis de Hertford. Après la mort de son fils unique survenue en 1887, sir Richard Wallace revint toutefois s’installer à Bagatelle. Peu reçu par la société parisienne qui lui tenait rigueur de son origine illégitime, il y vécut le plus souvent seul,  sortant peu et se contentant d’entretenir soigneusement la collection de tableaux, d’armes, de meubles et autres objets de valeur léguée par son père, collection qu’il accrût encore par l’acquisition de quelques pièces exceptionnelles.

Sir Richard Wallace mourut à Bagatelle le 20 juillet 1890, en laissant tous ses biens à son épouse française Julie Amélie Charlotte Castelnau et fut enterré au cimetière du Père-Lachaise dans le caveau des Seymour (cf. illustration)

Lady Wallace (cf. illustration), son épouse, lui survécut quelques années  et et mourut en 1894.

Elle légua alors en premier lieu à la nation anglaise le fabuleux ensemble plus de 5000 meubles, tableaux et objets d’art établi à Hertford House (cf. illustration), qui est aujourd’hui encore une des plus grandes collections des arts décoratifs français au monde, à la condition que la collection porte désormais le nom de Wallace Collection

Quant à  son secrétaire et homme de confiance, sir John Murray Scott, il reçut l’ensemble de ses biens immobiliers dont le pavillon de Bagatelle.

Peu de temps après, Scott vida Bagatelle de son riche mobilier mais aussi de l’importante statuaire du parc, puis voulut lotir son parc de 80 hectares mais le projet fut empêché par la Ville de Paris qui se porta acquéreur de l’ensemble en 1904 pour 6 millions de francs.

Celle-ci affecta alors  Bagatelle  au département des parcs et jardins mais le pavillon vide n’intéressa guère les édiles de la capitale.  Laissé  longtemps inoccupé, mal entretenu et mal gardienné, le pavillon dans les années 80 fit l’objet d’un important cambriolage qui fut effectué en plein jour, sous le regard même des gardiens, par des professionnels déguisés en  ouvriers ! Disparurent alors les 5 précieuses cheminées du rez-de-chaussée qu’avaient commandées le comte d’Artois et qui, toutes, étaient l’œuvre du marbrier Bocciardi et étaient ornées de bronzes doré et ciselés, œuvre du célèbre Gouthière dont celle-ci qui figurait dans un des deux boudoirs (cf. illustration).

Quelques expositions artistiques et rétrospectives historiques vinrent toutefois redonner vie à cette admirable demeure. La plus prestigieuse, mais aussi la plus éphémère puisqu’elle ne dura que 3 semaines,  eut  lieu  au printemps 1998. Intitulée « La Folie d’Artois », elle permit, grâce au concours de cinq prestigieux antiquaires parisiens, de remeubler de manière tout à fait exceptionnelle l’ensemble des salons du château de Bagatelle tels qu’ils devaient être au temps du comte d’Artois, certaines des pièces présentées provenant d’ailleurs des anciennes collections du prince. (cf. illustration)

Hélas, depuis 2001, la nouvelle équipe municipale a confié la délégation des Parcs et Jardins, à laquelle le domaine est rattaché, aux élus écologistes de Paris. Depuis lors, la programmation a essentiellement vu alterner à Bagatelle des manifestations dans le parc consacrées à la biodiversité, aux énergies nouvelles, aux cabanes ou encore…aux nains de jardins. Et, seuls, quelques concerts ou expositions ont parfois encore lieu dans le Trianon du domaine.

Mais la folie  de Belanger, qui connut à la fois raffinement du comte d’Artois, l’élégance du marquis de Hertford et l’humanisme de sir Richard Wallace, demeure aujourd’hui la plupart du temps fermée. (Un grand merci à Néoclassique pour cet article, ses photos et ses recherches – Copyright photos : DR)